« C'est vrai ce qu'on dit, tu lui as sauvé la vie, au vampire? » lui demande la belle jeune fille pendue à son bras. Il lève les yeux et croise le regard glacé du principal concerné. Il sait qu’il n’est jamais bon de parler en mal du garçon, et à voir l’œillade mauvaise que reçoit la blonde, il se sent obligé de voler à sa rescousse en faisant oublier à l’autre la remarque qu’elle a glissée à son sujet. Un sourire moqueur aux lèvres, il répond assez fort pour que Diezel l'entende. « Ouais, on a toujours été voisin et quand j'ai vu la maison en feu, fallait que je fasse ce que je pouvais. Je l'aie trouvé dans le salon, en train de se balancer sur place, comme un attardé mental. Tu sais ce qu'on dit, il est pyromane et tout le monde sait que c'est lui qui a foutu le feu, on n’a juste jamais trouvé de preuves pour le prouver. » Au moment même où le dernier mot quitte sa bouche, il sait qu'il vient de faire une connerie. Dans la classe, tout le monde s'est tue pour l'écouter, avant que les discussions ne reprennent plus rapidement que jamais. Il croise le regard dégoûté du meilleur ami du blond, qui lui, fixe son bureau, les poings serrés. Depuis l'accident, beaucoup de rumeurs courent sur ce qui est vraiment arrivé dans la maison des Kniazev, là où le seul survivant a été le petit dernier, Diezel-Sven. Des russes riches, importants, qui n’avaient jamais accepté les différences du plus jeune. Gay, petit et mince, aucunement intéressé par l'héritage familial. Raison suffisante, selon eux, pour les vouloir morts. Mais ce que personne n'ose lui enlever, c'est cet air dangereux et austère qu'il retient de sa famille. La moitié de l'école pourrait probablement lui casser la gueule, mais on n'ose pas toujours (après tout, il est doué, le con, pour faire enrager les gens), peut-être à cause de cette lueur de perpétuelle folie qui brille dans son regard de glace. Jett fait une bonne tête de plus que lui, et quand ils se gueulent dessus, personne ne peut affirmer que le grand brun a l'avantage sur le russe. Lentement, le blond tourne finalement son attention vers Jett, et le gratifie d’un sourire nonchalant. « Qu’est-ce qui t’arrive? Depuis ta mésaventure, faut que tu colores comme étant un héros pour arriver à séduire les filles? » Naturellement, tout le monde a aussi entendu ce commentaire. Le professeur ramène difficilement la classe à l’ordre alors que les conversations deviennent de plus en plus fortes. Difficile de leur en vouloir, après tout, qui n’aime pas les ragots juteux, surtout lorsqu’ils concernent la classe populaire? Même sa jolie blonde se retourne pour discuter avec une amie, sans lui accorder davantage d’attention. Et à voir le sourire malfaisant qui ourle les fines lèvres de Diezel, il s’est mordu les doigts pour rien. Œil pour œil, dent pour dent, devrait être la devise du russe. Car le lendemain, on ne parlerait pas de Diezel mais bien de lui et de son accident, avec cet autre gars, ainsi que des cheveux jaune pisse dissimulé sous le chapeau de la pauvre fille.

Brûle, joli feu, brûle. Il s’étend rapidement, embrasant le tapis jusqu’au plafond. Il crame tout sur son passage, ne laissant que des cendres. Empoisonne, jolie fumée, empoisonne. Née des flammes elle se répand, noire comme la suie. Elle tâche les poumons, mettant fin à la vie plus rapidement que son créateur. Et au milieu de cet enfer gît un garçon, la peau rougit par les flammes qui l’entoure, son regard glacé fondu par la fumée l’intoxique. Il se balance lentement sur place, il attend la Mort en observant les ombres qu’elle projette sur les murs brisés. Parfois, il entend des cris, il se demande à qui ils appartiennent. Sa mère, son père, ou son frère? La femme de chambre, le cuisinier? Bientôt, ça sera son tour et il espère que le feu le consumera avant l’inconscience, il veut se laver de ses péchés avant de faire face au jugement dernier. Il rit, s’étouffant au passage, à la seule pensée qu’il pourrait réussir à traverses les portes du paradis. Mais lorsque des mains le soulèvent, lorsqu’on le force à survivre, il comprend que son heure n’a pas encore sonné. Alors, il sourit narquoisement à la Mort, qui le regarde de ses yeux vides. Jusqu’à la prochaine fois.

Des étoiles s’établirent dans son champ de vision, alors qu’il tombait vers l’arrière, sonné par le coup qu’il venait de recevoir sur le côté de la mâchoire. Il leva un regard dédaigneux vers son père, qui bouillonnait littéralement de rage. « Je refuse que tu amènes des garçons affligés de ta maladie, tu m’entends? » lui hurle-t-il en russe, amenant son plus jeune enfant à rouler des yeux. N’a-t-il pas reçu le mémo, qui dit noir sur blanc que l’homosexualité n’est pas une maladie mentale? Il se relève malgré sa tête qui tourne, souhaitant faire face à son père et non pas ramper à ses pieds comme un simple insecte. « C’était Xander, père, mon meilleur ami. Il se trouve qu’il est très chanceux : il n’est pas gay, » réplique-t-il dans la même langue, ajoutant toutefois son éternel ton d’arrogance. Son père renifle, visiblement sceptique quant à la vie sociable de Diezel. « Comme si avec ton effroyable personnalité, quelqu’un accepterait d’être ton ami. » Et vlam, une solide dans les dents. Heureusement qu’il est bon acteur, car il peut facilement cacher la douleur qui serre sa poitrine. Oh, il est certes habitué par ce genre de commentaires, mais ce n’est jamais agréable de se faire dire par ses parents à quel point ils trouvent qu’il est un perdant, un bon à rien. « Ah, vous êtes là! Ça doit faire dix minutes que je vous cherche dans ce foutu château. J’ai à peine eu le temps de m’habituer à celui que vous avez à St-Pétersbourg que vous m’en foutez un encore plus immense ici? » s’exclame joyeusement l’oncle du blond en tournant le coin du corridor. Il s’approche, regardant son neveu avec un peu trop d’appréciation. « Mon frère, comme il est bon de te voir parmi nous, on doit parler d’affaires, » réplique son père en retrouvant soudainement une expression plus détendue. C’est seulement lorsqu’il pose les yeux sur lui que son visage se tord, devenant amer. « Bien sûr, bien sûr! Et combien de fois que je t’aie dit de ne pas lever la main sur ton jeune garçon? Tu vas finir par le défigurer, » insiste son oncle en déposant une main solide sur l’épaule du fils, puis du père. Comme seule réponse, le patriarche des Kniazev s’éloigne sans un regard pour son rejeton. Tournant son attention vers l’autre homme, Diezel retient difficilement un frisson dégoûté lorsqu’il reçoit un clin d’œil de sa part. Une fois seul, il court presque jusqu’à sa chambre, claquant et verrouillant la porte une fois à l’intérieur. Il espère que sa sera assez pour retenir son oncle, et ses perversions que Diezel ne souhaite plus jamais subir.

L'espace de quelques divines secondes, il se croit de retour en Russie. Il est de nouveau chez lui, couché sur le sol froid à regarder les flocons tomber. Il lève la main, impatient de sentir la neige fondre au creux de sa paume. C'est lorsqu'il approche le flocon de son visage, passant un doigt sur la texture faible et grise, qu'il réalise qu'il s'est trompé. Comme s'il sort d'un rêve, il revient brusquement à la réalité, une cacophonie de bruits et de lumières envahissant son esprit troublé. Il pleut de la cendre, il pleut le reste de sa maison qui est en train de se consumer à une vitesse effroyable, malgré les efforts des pompiers. Il sent quelqu'un à ses côtés, qui dépose doucement une main sur son épaule. Diezel tourne les yeux, découvrant avec stupeur qu'il s'agit de Jett, qui le regarde avec inquiétude. Il tremble, le petit russe, lorsqu'il voit deux hommes tirer un autre survivant des flammes. Son oncle. Pourquoi lui? Pourquoi cette pourriture a-t-elle eu le droit de survivre? Il se sent soudainement entouré, et pense qu'on vient de déposer une couverture sur lui. Mais en sentant un souffle chaud sur sa nuque, il réalise que c'est Jett. Diezel ferme les yeux, appuyant son dos contre le torse de l'autre, glissant son visage dans le cou du brun. Ils pourraient se détester à nouveau le lendemain, là, il ne peut qu'accepter cet étrange réconfort. Il se permet un moment de tristesse, malgré la haine brûlante qu'il a toujours éprouvé pour sa famille. Parce qu'il ne se souvient pas de ce qui s'est passé, après son retour à la maison. Est-ce lui qui a mit le feu à sa demeure, à sa famille?

Cette envie, qui prend aux tripes, ce désir si puissant qu’il rend son corps malade. Il se traîne jusqu’à sa cuvette, vomissant absolument rien. Ça fait deux jours qu’il n’a pas mangé, qu’il tremble de la tête aux pieds dans son lit, qu’il pleure comme s’il allait mourir d’une seconde à l’autre. Il a cette impression, et l’ombre noire qui reste près de lui ne fait qu’accroître son impression. Un foutu sevrage, mais quelle idée il avait eu? Heureusement qu’il a Xander pour le soutenir, il arrive à peine à croire qu’il est avec lui depuis deux jours, s’assurant qu’il va bien, qu’il ne flanche pas. Diezel sait où est cachée le reste de sa coke, mais il résiste. Ou plutôt, son meilleur ami le tient fermement sur son matelas pour l’empêcher de craquer. Il se débat, jusqu’à ce qu’il réalise ce qui se passe, et qu’il plonge son regard brûlant dans celui de Xander. Il n’a jamais vraiment eu d’amis, surtout pas d’amis fidèles ou loyaux. Ça ne l’a jamais vraiment dérangé, mais il doit avouer que ça fait du bien, de pouvoir se reposer sur quelqu’un. Il se sent moins seul, oubliant qu’il avait toujours l’habitude de se parler à lui-même. Il peut s’appuyer sur lui, et malgré qu’il soit quelque peu maladroit, il tente de lui rendre la pareille quand c’est au tour de Xander de toucher le fond. « J’ai pas envie que tu disparaisses de ma vie, » lance-t-il soudainement, assurant du même coup à l’autre garçon qu’il n’a, pour le moment, plus envie de courir sniffer sa coke. Un sourire étire les lèvres de Xander. « Avoir su qu’arrêter la drogue te rendrait si sentimental, je t’aurais fait arrêter avant, » réplique-t-il en se laissant tomber à ses côtés. Diezel roule des yeux, avant de rouler pour lui faire face. « Avoir su que tu réagirais comme une fille excitée, je t’aurais draguer avant. » Son ami éclate de rire, bientôt suivit par Diezel, qui s’étouffe toutefois rapidement. Il se retrouve avec un verre d’eau sous le nez, s’étouffant presque à nouveau lorsque Xander lui enfila le contenu dans le fond de la gorge. « Je suis pitoyable, » lâche-t-il d’un ton morose, cachant son visage dans son oreiller, soudainement glacé. Naturellement, une couverture le recouvre une seconde après. Après ces quarante-huit heures, Xander a apprit à reconnaître toutes ses réactions. Un homme parfait, quoi. « Absolument pas, tu devrais être fier d’enfin lâcher cette cochonnerie, » réplique l’autre en soupirant. Diezel lève un regard noir vers lui. « J’espère, que j’arrête, après avoir probablement foutu le feu à ma famille. » « Rien prouve que c’est de ta faute, » le sermonne Xander, sans être tout à fait convaincu. Il partage le secret de Sven, mais comment savoir avec certitude que ce n’est pas de la faute du jeune homme? « Rien prouve que c’est pas la mienne non plus. » Deux mains entourent soudainement son visage, et il se retrouve à fixer le visage résolu de son meilleur ami. « Ça sert à rien que tu te tortures comme ça, Die. Même si c’est toi, tu te contrôlais pas, tu visais ton salaud d’oncle… » il arrête soudainement de parler en voyant le voile de noirceur prendre possession des yeux bleus du russe. Il ouvre la bouche pour s’excuser, mais le blond secoue la tête en s’éloignant un peu, lui tournant ensuite le dos. Xander ne se laisse pas démonter et le prend en cuillère, déchirant finalement l’expression noire de Diezel qui ne peut empêcher un petit sourire. Peut-être qu’un jour, il réussirait à lui parler de son oncle, mais pour le moment, valait mieux se débarrasser d’un problème à la fois.

Un nouveau psychologue, comme s'il avait réellement besoin de ça. Après des années, ils n'avaient toujours pas compris que ça ne changerait jamais rien? Mais ils étaient morts, on lui avait assigné celui-là à cause de l'incendie. Bordel. Il ne prendrait jamais les foutus pilules qu'on tentait de lui faire avaler. Il ne parlerait jamais de ses sentiments, de ce qu'il voyait. Le souffle court, le cœur battant, il s'installe devant l'homme qui ne semble pas avoir plus de trente ans. « Top chrono, » il ne peut s'empêcher d'annoncer, avant de tirer sur le collet de son t-shirt. Il se sent nerveux, instable. Pourquoi? Il ne le sait pas, mais tout ce qu'il veut, c'est courir vers la sortie. Là, par contre, on aurait une bonne raison de le faire rester. « J'imagine que ça ne doit pas être facile, d'être forcé à venir voir un psychologue. Mais je ne suis pas ici pour te punir, je veux juste t'aider à gérer la crise qui t'es arrivé, » lui annonce l'homme en lui offrant un sourire. Diezel lui rend, mais pas pour les mêmes raisons. « Vous commencez toujours par un discours du genre, et vous finissez toujours avec la même conclusion : faut que je me fasse soigner, » répond lentement le blond, avant de croiser les bras sur sa poitrine. Il se ferme à la discussion, sans toutefois détacher son regard de l'autre, qui fronce les sourcils. Son sentiment de nervosité s'est soudainement envolé, laissant place à l'indifférence. Il se demande combien de temps ça prendra, avant que celui-là le déclare mentalement instable. Lui dira-t-il qu'il est bipolaire ou schizophrène? Quand allaient-ils réaliser qu'il est simplement un peu différent? Pleins de gens sont différents, et arrivent à vivre quand même bien dans la société. En même temps, ne dit-on pas que les fous ignorent qu'ils le sont? Merde.

Lorsqu’elle regarde pour la première fois dans la direction de son fils, il rie et s’amuse avec une petite fille de son âge. Elle baisse à nouveau la tête vers son portable, pressée de régler quelques détails sur son dossier. Mais lorsqu’elle entend, quelques minutes plus tard, les pleurs d’un enfant et la voix puissante d’un homme, elle lève la tête, curieuse. Elle aperçoit son plus jeune, recroquevillée sous un module de bois, allumant et fermant un briquet. Essayant de l’attraper se trouve le père de la petite fille avec qui il jouait quelques temps auparavant. Cherchant rapidement la petite du regard en se levant, elle la voit dans les bras de sa mère, le visage et ses cheveux d’en avant brûlés légèrement. Encore plus sous le choc, elle s’approche du père en gardant les yeux fixés sur la petite fille qui pleure toujours. « Je peux savoir ce qui se passe, ici? » demande-t-elle en croisant les bras sur sa poitrine. Furibond, le grand russe se tourne vers elle. « Il est à vous, cet attardé mental? Il a mit le visage et les cheveux de ma petite poupée en feu, je vais le battre! » hurle-t-il, avant de tenter d’attraper Diezel à nouveau. Elle regarde autour d’elle, voyant tous les parents et les autres enfants en train de regarder la scène. La dame déteste être au centre de l’attention pour les mauvaises raisons, et c’est loin d’être la première fois qu’elle a des problèmes flambés à cause de son petit dernier. Après de longues minutes, elle réussit à convaincre l’homme qu’elle paiera pour s’assurer que la petite ne garde pas de séquelles physiques. Lorsqu’elle quitte finalement le parc en traînant pratiquement Diezel derrière elle, elle fulmine. « C’est quoi ton problème, petit imbécile? Pourquoi tu dois toujours mettre le feu à tout? Attend que ton père apprenne ça… » Malgré la petite voix essoufflée de son fils, elle entend très bien la réponse qu’il souffle suite à sa question, la faisan arrêter de marcher brusquement. « C’est elle qui me dit que c’est une bonne idée. Et je suis d’accord, c’est bien amusant de voir le feu se répandre partout. » Se retournant vers lui, elle lui lève douloureusement le menton. « Qui ça, elle? » demande-t-elle en fronçant les sourcils. « La Mort, je crois, » répond Diezel d’un ton innocent.