❝CHAPITRE I❞

« sunniva ! pose-moi ce fusil ! » sa voix m'avait fait frissonner, je laissais l'arme tomber par-terre. j'étais dans ma chambre, cherchant à comprendre comment cette chose pouvait procurer à mon père autant de fierté. mon père, il se battait 'pour notre pays', m'avait-on dit. pour notre sécurité, notre liberté. toujours la même phrase, toujours le même ton. ce ton compatissant, presque nostalgique. je voyais bien que personne ne voulait vraiment m’expliquer ce qu'il faisait, mon père. non, j'étais une gamine, je n'avais aucunement à savoir ce que foutaient des kalachnikovs encadrées dans le salon. « aller, bonne nuit mon cœur, viens me faire un bisou. » m'avait-elle dit. je n'eus aucune réaction. je ne percevais plus les chuchotements. c'était le début d'une longue et douloureuse descente aux enfers.


« mais t'es sourde ou quoi ?! » je baisse la tête, honteuse. l'intégration n'avait pas été facile, les gens n'avaient aucune idée de ma souffrance. « je...oui, enfin presque... » « ah merde, désolé, j'savais pas... » ces paroles revenaient souvent. il fallait toujours que je justifie mon manque de réaction par moment. mes appareils auditifs me gênaient, ils me donnaient envie de mourir. en dehors des cours, je fraudais, je les enlevais, je devais faire répéter les gens, les forcer à reprendre, moins vite et plus clairement. c'est alors que je compris que j'étais condamnée à porter ces horreurs pour le restant de ma vie.



inspire expire, je me répétais, intérieurement.

aujourd'hui, c'était plus dur que d'habitude. trop de bruit, trop de gens. ma mâchoire se crispa, mes dents glissaient désagréablement les unes contre les autres. j'avais beau chercher, je ne savais plus où j'avais laisser mes oreillettes.

je ferma les yeux et frotta mes mains rougies par la morsure du froid l'une contre l'autre. je portais ses doigts à ses lèvres et soufflais légèrement dessus, les yeux toujours fermés. une brume légère s’échappa de ma bouche entrouverte avant de s'évaporer aussi vite qu'elle était apparue. trop de bruit, trop de gens. je voulais m’enfuir, m'isoler de tous ces bruits à la fois présents et inaudibles. le vendredi, la patinoire était ouverte à tout public tu te souviens ? tu détestait ça. et j'étais pas là pour jouer moi, je m'entraînais. je l'ai pas dis à maman mais le patinage c'est quelque chose de sérieux pour moi, tu sais ? j'espère vraiment que tu viendras de me voir patiner un jour, tu sais à quel point j'aime les costumes roses à paillettes, tu seras pas surpris.

je te fais pleins de bisous, je t'aime, sunniva.

ps : j'ai bien reçu ton nœud bleu, merci beaucoup, il est magnifique. c'est promis, je le porterai sur la glace.

inspire, expire. j'ouvris les yeux brusquement, la lumière soudaine me brûle les pupilles. je resserre le nœud sur ma tête me propulse en avant d'un coup précis. je gagnais en vitesse slaloment entre les enfants qui hurlaient à chaque fois que quelqu’un s'approchait de trop près. la lame de ses patins ne fit aucun bruit. aucun bruit qui n’arrivait à mes oreilles. je ralentis le balancement de mes chevilles et finis par tourner sur moi même, pour finalement patiner à reculons, dos au vent. l'air me fouettait le visage, la vitesse me heurtant à la conscience. ne faire qu'un avec la glace, c'était ce que je cherchais. le cercle formé par les lames de mes patins rétrécissait. sans m'arrêter, je ne pris plus appuis que sur son pied gauche en me courbant du mieux que je pus. je tendis mon autre jambe et tendis les bras, les collants contre mes jambes. je tourna une fois, deux fois, trois fois, quatre fois sur moi-même avant de ralentir le rythme et se reposer mon pied sur la glace. je pouvais sentir les regards sur moi. j'aimais ça et pourtant, cela restait gênant. « sunniva ! sunniva ! » quelqu’un appelait. dans ma tête, ça résonnait plus comme : « suuu...nyyaaa... suu...nyyaaa... » trop de gens, trop de bruit. les mains sur mes tempes, je décidais de sortir de glace. j'avais envie de pleurer. c'était la première fois que je sortais sans mes oreillettes et là, j'étais complètement perdue. j'avais l'impression d'être un ovni, un ovni au milieu de personnes complètement normales. je m'empressais de sortir de la piste et me posa sur le banc le plus proche. je lançais des regards furtifs autour de moi, retirant mes patins, au bord de la crise de larme. mes yeux s'attardèrent sur une silhouette, c'était zachary. et puis en fait c'était comme si c'était mon sauveur tu sais ? j'étais trop contente, je me suis mise à sourire, en échappant un rire étouffé d'un soupir quand je compris que c'était lui qui essayait de m’appeler depuis une bonne dizaine de minutes. je lui indiquais par des gestes que je n'entendais rien et, comme de par magie, il sortit mes oreillettes de sa poche. je les prit et lui sautais au cou. zachary, mon héros.




écrire. effacer. écrire. effacer. écrire, une hésitation. un soupir. effacer. une page blanche. le néant.

j'osa jeter un coup d’œil hésitant à l'horloge digitale qui me narguait dans le coin droit en bas de l'écran de l'ordinateur. un grognement s'échappa de mes lèvres alors ma tête s'appuyait contre le clavier. 'jkdsqldjqkldjsqkl'. ça allait être long.

« écrivez sur votre vie sunniva, sur votre passé. votre présent, comment vous imaginez votre futur. ce que vous ressentez, vos attentes, vos envies, votre vie. » j'avais les yeux au ciel. «c 'est généralement un des devoirs préféré des élèves, sunniva. » « tsss. » avais-je grommelé.

je posa mes mains sur les touches et après mûre réflexion, j'effaça le 'jkdsqldjqkldjsqkl' que j'avais écris par inadvertance.
soudain, mes doigts se mirent à pianoter sur le clavier à une vitesse hallucinante. Les mots s’enchaînaient, se succédaient sans s'arrêter.

je venais tout juste décrire une page. et pourtant, ce n'était que des mensonges. ce n'était pas moi, mais seulement ce que je voulais être.
je sélectionna tout le texte et sans réfléchir appuya sur la touche 'delete'. cinq phrases. quelques mots. au moins, c'était moi. c'était vrai.

'Bonjour, je m'appelle Sunniva. Je suis malentente et appareillée . Je crois que je suis bi. Tu veux être mon ami ?'