« Pourquoi t'intéresses-tu autant à Riley ? » demandai-je à Jazzlyn, intrigué par sa curiosité s'exacerbant une fois que l'on évoquait le nom du professeur de littérature. Elle me fixa, très sérieusement. Ses grands yeux bleus plantés dans les miens, j'attendais impatiemment une réponse sincère de sa part. « Parce que c'est ma soeur. » Je la dévisageai, puis me mis à rire, jusqu'à ce que je me rende compte qu'elle était, en fait, très sérieuse. « Tu plaisantes ? Si elle avait eu une sœur, elle m'en aurait parlé. » rétorquai-je sur un ton plus qu'assuré. Je connaissais Riley par cœur et, sans prétention, je pouvais affirmer qu'elle n'avait aucun secret pour moi. « Sauf qu'elle n'est pas au courant. » Je haussai les sourcils. Cette annonce sonnait comme l'intrigue d'un mauvais film à suspense. « Et j'aimerais que ça reste ainsi jusqu'à ce que j'aille lui parler moi-même. » Était-ce un ordre ? Une menace ? En tout cas, je n'étais pas certain de pouvoir être capable de cacher quelque chose d'aussi énorme à ma meilleure amie. Surtout que Jazz pouvait prétendre ce qu'elle voulait, rien ne me disait que ce qu'elle avançait là était la vérité et qu'il fallait la croire sur parole. Et si elle essayait d'escroquer Riley ? Je soupirai, en jetant un coup d’œil à l'horloge qui indiquait dix-sept heures quarante cinq. Riley n'allait pas tarder et je n'avais pas envie qu'elle me croise avec une étudiante, surtout Jazz. « C'est vos affaires. Je ne dirai rien mais je t'ai à l’œil, hein. C'est ma meilleure amie. » lâchai-je sur un ton glacial, le regard méfiant. « Sur ce, je vais devoir te demander de partir. » Jazz hocha la tête et se leva du sofa. Je la raccompagnai jusqu'à la porte, en l'observant minutieusement. J'essayai de trouver LE détail qui prouverait qu'elle est vraiment la sœur de Riley mais j'étais encore bien trop sous le choc pour effectuer une analyse réellement efficace. J'ouvris la porte à la jeune femme et, spontanément, elle me claqua la bise. Lorsque j'eus relevé doucement la tête, je remarquai qu'il y avait une autre personne, plantée sur le pallier. Jazzlyn fit profil bas et s'enfuit dans la cage d'escaliers, me laissant seul avec une Riley de moins bonne humeur que d'habitude. Je me raidis en lui sortant mon sourire le plus hypocrite et le plus mal assuré. « Ah, Riley, salut ! T'as de l'avance, on dirait ? »

" A demain Riley ! " L'interpellée se retourna vers la collègue qui venait de lui parler, elle lui rendit la politesse puis quitta l'enceinte de l'établissement. Les journées de boulot étaient crevantes. Certains pensaient qu'être professeur, c'était facile, qu'il suffisait de prendre une craie ou un stylo, écrire sur le tableau et parler mais ce n'était que l'envers du décor. Et les cours n'étaient d'ailleurs qu'une part infime du boulot. Il fallait encore corriger les copies, prévoir et préparer les cours, bref une vraie organisation de ministre à avoir. Et pourtant, Riley adorait son travail, elle ne l'aurait changé pour rien au monde. Elle aimait être au contact avec les étudiants et puis elle aimait cette impression d'être utile, d'apprendre des choses à ces étudiants même si parfois ils pouvaient être exténuants. Certains lui menaient la vie dure, elle ne pouvait le cacher mais elle les comprenait, oui, parce que elle aussi avait été comme eux, avant. Elle les comprenait mais ne se laissait pas faire pour autant. Une petite remarque bien ficelée, placée au bon moment et ils comprenaient très bien. Mais bon, maintenant il n'était plus temps de penser au cours. Ce soir serait une belle soirée. Elle devait rejoindre James, un de ses collègues et très bon ami chez lui. Elle se rappelle encore le jour de leur rencontre, James n'était encore qu'un prof tout nouveau à Jersey et il s'était perdu, Riley avait eu l'impression de se revoir, elle-même à son arrivée dans l'établissement alors tout naturellement, elle l'avait aidé à s'orienter dans l'établissement et puis aussi à s'intégrer. C'est comme ça qu’avait commencé leur belle amitié et aujourd'hui, elle ne se voyait pas ne pas l'avoir comme ami. Il était devenu quelqu'un d'indispensable dans sa vie. Elle lui faisait une confiance aveugle. Riley entra dans sa voiture et pris quelques minutes pour respirer. Ça faisait du bien un peu de calme après l'agitation permanente de la journée. Seize heures trente. Elle n'avait rendez-vous chez James que dans une heure trente, hors de question d'y aller comme ça, il fallait qu'elle se change et puis de toute façon, elle avait bien le temps de rentrer chez elle. La jeune femme bu presque sa bouteille entière, à force d'avoir parlé, elle avait la bouche desséchée puis elle démarra en direction de son appartement. Arrivée à destination, elle quitta les habits qu'elle avait porté toute la journée, en profita pour prendre une bonne douche rafraîchissante, enfila un short et un débardeur puis sa veste et ni une ni deux, repartit en direction de chez son ami. Hors de question pour elle d'être en retard. Elle était ponctuelle, toujours, question de politesse, selon elle. Elle arriva avec près de dix minutes d'avance mais ne s’attendait sans doute pas à la surprise qui l'attendait. Elle s'apprêtait à toquer à la porte quand cette dernière s'ouvrit, laissant sortir une jeune fille, une étudiante que Riley avait déjà croisée. Cette dernière la dévisagea puis partit sans demander son reste. Riley eut l'impression de faire tache, peut être aurait-elle du arriver à dix-huit heures tapantes. Elle n'appréciait pas que James fasse ainsi ami-ami avec des étudiantes, elle avait peur pour lui, peur que ça tourne mal et qu'il se fasse virer. « Ah, Riley, salut ! T'as de l'avance, on dirait ? » La concernée ne savait pas trop quoi répondre, elle était gênée, vraiment. " Euh oui, désolée... Je pensais que je te dérangerais pas en venant plus tôt mais je vois que tu as beaucoup de visite ce soir... C'était qui cette étudiante ? Chez toi en plus ! Tu ne sais donc pas ce que tu risq... " Riley stoppa sa phrase, elle n'avait pas envie de se disputer, pas dès l'arrivée. Après tout James était adulte, il n'avait pas besoin d'elle. Elle resta en plan quelques secondes avant de se rappeler ce qu'elle tenait à la main, un paquet de gâteux, elle le tendit à James: " Tiens c'est pour toi... J'espère que tu aimeras... "

Lorsque j'ouvris la porte et que je tombai nez à nez avec Riley, autant dire que je fus extrêmement embarrassé, surtout que c'était une de mes étudiantes que je raccompagnai jusqu'à la sortie. Je vis dans les yeux de Riley qu'elle était plus que gênée et je me sentis mal pour elle. Même s'il n'y avait jamais eu aucune ambiguïté entre Jazzlyn et moi, cette situation pouvait prêter à confusion, je devais bien l'admettre. « Euh oui, désolée... Je pensais que je te dérangerais pas en venant plus tôt mais je vois que tu as beaucoup de visite ce soir... C'était qui cette étudiante ? Chez toi en plus ! Tu ne sais donc pas ce que tu risq... » Et elle s'arrêta net. Je soupirai. « Moi aussi je suis content de te voir, Riley. » soufflai-je sur un ton ironique en levant les yeux au ciel. « Je sais que ça t'inquiète mais on peut en parler plus tard, s'il te plaît ? »

Mes yeux se baissèrent soudainement sur un paquet que Riley tenait entre ses mains. Je relevai la tête, le regard interrogateur. Elle me tendit la boîte. « Tiens c'est pour toi... J'espère que tu aimeras... » Je lui pris doucement la boîte des mains, me demandant ce qu'elle pouvait bien contenir. Je soulevai le couvercle avec délicatesse et constatai avec surprise qu'il s'agissait d'un gâteau. « Oh, un gâteau. » m'exclamai-je, surpris. « Pourtant, c'est pas mon anniversaire. Ni le tien, d'ailleurs... » déclarai-je, réfléchissant à voix haute. Je refermai le paquet et relevai soudainement la tête vers Riley. Elle ne m'offrait jamais de gâteau, d'habitude... C'était louche. Je la fixai en plissant les yeux, d'un air suspicieux. « T'as un truc à m'annoncer, c'est ça ? » Je la pris par le bras et la tirai à l'intérieur de mon appartement. « Mais entre, bon sang ! » m'écriai-je en refermant la porte derrière elle. Je déposai le paquet sur un meuble et tentai de sonder le regard de Riley. « Oh non ! T'es enceinte ! C'est ça ? » m'enquis-je, me demandant intérieurement si je ne devenais pas complètement parano.

Elle ne s'attendait pas à ça, vraiment. Vous lui aurez dit cela il y a quelques minutes, elle ne vous aurez pas cru et pourtant, elle ne pouvait pas nier l'évidence. Elle savait que James était très proche de ses élèves, elle ne l'en blâmait pas, loin de là, elle aussi discutait facilement avec ses élèves mais de là à les inviter chez elle, jamais. Pourtant, elle ne tenait pas à de disputer avec son meilleur ami à ce sujet. Elle comptait bien passer une bonne soirée en sa compagnie et puis ce n'était plus un enfant, ce n'était pas à elle de lui donner des leçons, après tout. Riley se contenta donc de mettre de côté ce qu'elle pensait, elle trouverait bien une occasion, un jour ou l'autre, au détour d'une discussion de lui dire ce qu'elle pensait de tout cela parce que elle savait qu'il risquait gros et elle ne comptait perdre son meilleur ami, s'il se faisait viré de l'université, elle s'en voudrait toute sa vie... Pourtant, la jeune fille avait beau essayer de chasser toutes les pensées qui se bousculaient dans sa tête, l'image de la jeune fille qu'elle venait de croiser sur le palier ne cessait de lui revenir en tête. Et si elle n'avait pas de bonnes intentions envers James ? Peut être qu'elle ne cherchait que ça, qu'il se fasse virer ? Faire du mal. Elle savait bien que les professeurs n'étaient pas toujours biens vus par les élèves, elle même, dans son adolescence avait été de ceux à faire de mauvaises blagues avec son groupe d'amis... Elle parlait donc en connaissance de cause. Elle était tellement confuse d'être arrivée à l'avance chez son ami, elle avait l'impression d'avoir été le spectateur indésiré. Elle était tellement confuse qu'elle en oublia de rentrer, restant sur le palier. A tel point que James, l'attrapa par le bras et la tira à l'intérieur, refermant la porte. « Oh non ! T'es enceinte ! C'est ça ? » Ces mots la firent revenir sur Terre. Enceinte ? De où pouvait bien lui venir une telle idée ? Elle garda quelques secondes le silence, un blanc se formant entre eux deux, le temps qu'elle reprenne le court des évènements. Ah oui, c'est vrai, le gâteau, finit-elle par se dire. C'est alors qu'elle rit au nez de son ami, puis se rendant compte que c'était très malpoli, elle s'arrêta d'un coup, disant: " Oups, désolée, c'était plus fort que moi... Mais non t'inquiètes pas, pas de Grayson's junior en préparation... Loin de là... " Cette remarque la fit rire intérieurement. Ça ne risquait vraiment pas d'arriver, du moins, pas pour l'instant; ce n'était déjà pas demain la veille qu'elle se mettrait en couple. A cette remarque intérieure, les images du passé déferlèrent sans qu'elle ne puis les arrêter dans sa tête. Son ex, sa violence, ses cauchemars encore aujourd'hui et elle se dit que ça ne pouvait durer comme ça, qu'il ne pouvait pas lui gâcher sa vie entière, peut être qu'un psy lui ferait du bien mais ce soir là, elle voulait penser à autre chose, vraiment. Ses amis ne devaient se douter de rien, elle n'avait jamais parlé de cela à personne, seule l'héroïne de son roman lui permettait de laisser parler son cœur, une héroïne qui était un peu elle, une femme battue. Ça lui faisait du bien de mettre tout ce qu'elle ressentait par écrit et puis au moins, personne ne se doutait de ses secrets...   " Et puis pour le gâteau, disons que c'est pour fêter la fin de la semaine, c'est une bonne raison, non ? Et puis pour fêter le nouveau chapitre que j'ai fini d'écrire hier... Et puis aussi parce que je suis une vraie gourmande alors quand je l'ai vu dans la vitrine, je n'ai pu retenir ma folie acheteuse et je me disais que ça serait sympa de partager au lieu de faire ma morfale, toute seule, chez moi... " Sur ces mots, elle souria, bien décidée à ne plus penser à rien de mauvais ce soir là et de simplement profiter de ce moment avec James, elle demanda alors: " Alors, tu avais prévu quelque chose pour ce soir ?  "