« Non, Socrate, tu restes ici ! » Mais, tu parles ! Comme si le chiot va l'écouter, quoi. Autant s'adresser à un sourd. Ou à un mur. Il gambade, court, allonge ses foulées, et disparait au bout d'un chemin. Bordel... Au final, Charles se demande si c'était raisonnable de ramener ce chien de son « voyage ». Non, bien sûr que non. Mais les services de protection d'animaux lui avaient bien dit, lorsqu'il l'avait ramené après l'avoir trouvé, errant au milieu d'une autoroute. A-t-il eu vraiment le choix ? Avec le sourire – car au fond, il ne regrette pas vraiment – il accélère le pas pour retrouver le petit chien chocolat qu'il a adopté. Mais visiblement, Socrate – quel nom, avouons-le ! – a déjà fait copain-copain avec quelqu'un d'autre. Pas un ami à poil et à quatre pattes, mais plutôt une silhouette humaine, debout sur ses pieds. Ah, ce Socrate, toujours a cherché compagnie humaine. Bien doué pour la sociabilisation, ce p'tit là ! Avec un léger sourire, Teddy se mouve en sa direction, passant une main dans ses cheveux. Il fronce doucement les sourcils, tâchant de saisir les contours de la personne que son chiot a conquis. Arrivant à la hauteur de la personne – qui est une jeune femme – il se fige. Net. Bon sang, Socrate, non, tu peux pas me faire ça... Un silhouette qu'il a connu. Bien connu. Trop bien connu. Son souffle s'est fait légèrement happé à l'intérieur de lui-même, comme si ses poumons le lui retenaient. Anaëe. Sa gorge, nouée, fait rapidement remonter jusqu'à son cerveau des chocs de culpabilité. Une ennemie sourde et rebelle que Charles a soudain repoussé. Pourtant aujourd'hui, il ne se sent pas d'attaque, et préfère la laisser gagner du terrain, dévorant petit à petit sa confiance en lui. Pourtant, il sait qu'il doit lui faire face. Affronter cette âme qu'il a tant blessé. Ce coeur, qu'il avait entre les mains et qu'il avait choisi de piétiner. Figé, dans une position anormale pour être naturelle, il se mord la lèvre et balbutie un bref : « Oh, euh.. s-salut.. »

Quelle était la probabilité pour qu'il tombe sur elle ? Sûrement moins de dix pour cent de chances. Manque de bol. Ou peut-être coup de chance ? Et si c'était là un moyen pour lui de se racheter ? Après-tout, après cette histoire, il n'a jamais eu l'occasion de présenter ses excuses à Anaëe. Pourtant, il y aurait eu de quoi. Il lui avait littéralement piétiné le coeur à grands coups de pieds. À l'époque, sa fierté l'avait dévoré entièrement, lui empêchant toute manoeuvre dans ce genre-là. Mais aujourd'hui, Charles a changé. Et lui-même en est conscient. « Salut. » Réponse froide, cinglante. Il rappelle discrètement Socrate, en claquant de la langue, et son chiot revient alors se frotter contre ses jambes. Pour se donner une contenance et ne pas affronter le regard de la blondinette, Charles se penche, le caressant. Mais sa main brusque laisse entrevoir quelques signes de nervosité. « C'est aussi un être à qui tu vas briser le cœur, ou t'as décidé d'arrêter ce genre de magouilles ? » Une vague de remords envahissent son intérieur. Normal, qu'elle lui en veuille, qu'a-t-il cru ? Il déglutit péniblement, fuit encore son regard quelques secondes avant de l'affronter enfin. Il a oublié comme ces yeux bleutés sont beaux. Comme ils l'avaient fait chavirer, à l'époque. Comme il en faudrait peu qu'il retombe là-dedans. Mais il n'en a pas le droit. Il y a Candace. Le bébé. Et puis, Anaëe lui en veut à mort, ça non plus, il ne doit pas l'oublier. « Ecoute.. J-Je suis désolé. » Il fait une pause, hésitant, cherchant visiblement ses mots. Il se mord la lèvre, regarde Socrate, puis de nouveau la jolie blonde. « Je sais que ça ne change vraiment rien, mais je voulais que tu le saches. J'ai fait le con, et tu.. tu méritais pas d'être tombé sur un type comme moi. » Il baisse les yeux, coupable. Il passe une main légèrement nerveuse dans ses cheveux. Observe le parc, qui se vide au fur et à mesure que les minutes défilent. Charles a l'impression que le temps passe en accéléré. Qu'il lui file entre les doigts sans qu'il ne puisse le stopper. Soudainement, il tourne la tête vers elle et esquisse l'ombre d'un sourire. « Ça ne pardonnera sûrement rien, mais que dirais-tu d'aller prendre un café ? Je te l'offre ! » Et puis, curieusement, après ces longues années de culpabilité, il a une certaine envie de s'expliquer. De lui raconter, pourquoi est-ce qu'il avait du plomb dans la cervelle.