Zac ⊱ « Je suis un père absolument lamentable. » Se laissant tomber dans le canapé, Isaac baissa les yeux sur la lettre qu'il tenait entre les mains et la relut, encore et encore. Courte,pas plus de trente mots, il la connaissait déjà par coeur mais il ne cessait de la relire. « Tu ne savais pas. Tu ne pouvais pas savoir. Elle non plus ne savait pas, ce n'est pas de votre faute si un chauffard a pris la route le soir où elle allait te l'annoncer, que tu es resté dans le coma plus d'un an, que tu ne te souviens pas de la mère d'un enfant que tu ne connais pas et qu’elle pense que tu l'as abandonnée ! » Isaac leva les yeux sur sa soeur et haussa un sourcil en plongeant son regard dans le sien. « Exprimée ainsi, mais situation est encore plus désespérée que je ne la voyais, merci beaucoup. » Il ne se souvenait pas de la mère de son enfant, enfant n'étant ni prévu ni connu avant son accident, et son appartement était devenu un lieu inconnu. Lorsqu'il regardait sa soeur, il ne voyait qu'une jeune femme lui ressemblant étrangement et pas l'enfant qu'il avait tenue dans ses bras au deuxième jour de sa vie, avec qui il avait joué, à qui il avait appris tant de choses. Il n'était même pas un peu attristé d'avoir appris que se parents étaient morts tandis qu'il était dans le coma. Rien, il ne se souvenait pas d'eux. Ce qui restait gravé dans sa mémoire était l'accident.


Isaac était pressé, au retard, sans trop savoir pourquoi il avait dans l'idée que cela lui arrivait souvent, il ne devait pas être très ponctuel. Il allait en un lie dont il ne se souvenait pas aujourd'hui, rejoindre une certaine Carrie dont le visage en photographie dans quasiment chacune des pièces de son appartement ne lui était même pas un tout petit peu familier. Frustré - il devait se douter qu’elle avait quelque chose d'important à lui dire, en l’occurrence qu'elle était enceinte - il était de mauvaise humeur à cause de son retard et en avait marre des feux de signalisations cassés à tous les coins de rue, il avait traversé au rouge, et puis tant pis ! C'est là qu'une voiture avait tourné au coin de la rue, fonçant droit sur lui. Il se souvenait de la lumière aveuglante des phares, des pneus crissant sur le bitume en une tentative désespérée de stopper le véhicule, mais surtout de sa propre réaction. Il n'avait pas bougé. Si même il l'avait voulu il en aurait été incapable, mais il n'y avait même pas songé. Il était demeuré là, aveuglé par les phares, assourdi par le crissement des pneus et les cris de ceux qui avaient assisté à la scène. Ensuite ce n'était que suppositions, il avait dû rouler sur le capot, se prendre le pare-brise, retomber au sol, puis quelqu'un avait sans doute tenté de le ranimer tandis qu'une autre personne appelait une ambulance. Il ne savait pas, il était comme profondément endormi. Mourant. Dans le coma... Il avait la vague impression de percevoir des bruits sourds et des voix mais jamais il n'en aurait la confirmation. Il s'était pensé mort. Durant une année entière il était resté dans le coma, personne n’espérait plus le voir se réveiller. Entre temps, ses parents étaient décédés, son enfant, son fils, était né et avait désormais quelques moi,... Et lui avait tout oublié.


« Isaac ? Oh mon Dieu Isaac tu es réveillé ! Oh Isaac... » Les paupières de l'interpellé cessèrent de papillonner et il tenta de se redresser, en vain. A force d'être resté cloué au lit sans bouger, sans même être conscient, il n'arrivait même plus à se lever. Remarquant le regard de la jeune femme fixé sur lui, il haussa un sourcil. « Je... Je suis désolé mais est-ce qu'on se connait ? » L'expression de la jeune femme changea, puis elle sourit. « Arrêtes Zac c'est pas dr... Tu... Tu es sérieux ? Tu veux dire que tu ne te souviens pas de moi ? » Elle était totalement décomposée, son large sourire avait disparu et semblait ne plus jamais vouloir revenir. « Pour tout dire je ne sais pas qui je suis alors... » Elle le regarda fixement alors qu'il lui adressait un sourire triste. « Isaac Zeke-Dean Nielsen, tu as vingt et un ans depuis mars - on est en décembre -, tu es quelqu'un de génial et devine quoi, tu es mon frère. Je m'appelle Eden. » Elle semblait espérer qu'il lui dise qu'il se souvenait d'elle, mais il n'avait absolument aucun souvenir la concernant. Il n'avait plus aucun souvenir personnel. Il n'était rien ni personne...

Eden passa les jours suivants à lui expliquer qui il était, lui montrant les albums de famille, lui racontant des anecdotes en souriant, passant des heures à tourner les pages pleines de photographies qu'il ne reconnaissait pas. Elle ne se décourageait pas et il faisait des efforts pour s'accrocher mais sa volonté s'amenuisait à force de lamentables échecs. Il avait besoin de se souvenir mais n'y parvenait pas, cela le mettait hors de lui. Plusieurs fois il envoya balader sa soeur, déchira des photographies représentant sa famille devenue un groupe d'inconnus et jeta des objets à travers la pièce. Il n'y arrivait pas. Plus les visages défilaient, plus tout s'embrouillait et il était incapable de mémoriser des noms. La plupart de ces gens avaient passé des années avec lui et il ne s'en souvenait pas, leurs visages ne lui disaient rien. « Si je compte tellement pour eux, pourquoi es-tu la seule à me rendre visite ? » Eden continua de fixer l'une de leurs photos de famille quelques secondes, puis referma l'album et se tourna vers lui. « Tu es resté dans le coma durant une année entière. Dans les débuts, ils venaient tous les jours prendre de tes nouvelles. Ils... Nous avons observé le lent processus de guérison de tes blessures avec un espoir fou de te voir te réveiller et nous dire comme toujours quelque chose de totalement idiot qui nous ferait éclater de rire. J'ai passé la première semaine à ton chevet jour et nuit malgré les cours, j'ai refusé de te quitter une seule seconde, au cas où tu te réveillerais... La deuxième également. Nos... Nos parents sont venus ensuite, deux semaine. Après ton premier mois de coma sans aucune amélioration on s'est demandé si tu te réveillerais un jour, mais on a tous continué à venir. Après six mois personne n'y croyait plus, pas même les médecins, et nos parents sont partis. Ils sont morts dans un accident de voiture pas loin de l’hôpital. » Isaac détacha son regard de la jeune femme, observant l'extérieur, le ciel s’assombrissant peu à peu en prévision d'un violent orage, songeant que leur famille n'était pas très amie avec les voitures. « Moi j'ai continué à y croire. Tu sais, u m'as dit un jour que tu ne partirais jamais. Que jamais tu ne me laisserais tomber, que si j'avais besoin de toi tu serais toujours là. Et tu tiens toujours tes promesses. Je savais que tu ne me laisserais pas t'attendre en vain. Alors j'ai continué à y croire, même après une année complète, tandis que tous les autres rentraient chez eux en me souhaitant bonne chance. Bonne chance... Bande d’imbéciles ! »