Depuis que je suis à Jersey, je ne sors pas beaucoup. De un, car l'argent ne tombe pas du ciel et que l'alcool, ça n'est pas gratuit. De deux, car je suis moyennement fêtard. En fait, j'ai l'impression que rien ne m'amuse. Surtout depuis quelques années. Il me faut beaucoup plus que deux verres de vodka pour rire aux éclats. D'ailleurs quand j'y pense, ça fait une éternité que je n'ai pas réellement ri. Ce soir, je décide donc de remédier à cela - du moins je l'espère. J'enfile des vêtements décontractés ainsi qu'une veste printanière. Même si je me rend au Mimosa, je ne met pas sur mon trente et un. Les videurs laissent tout le monde entrer ici, surtout un vendredi soir. Je marche lentement jusqu'à la discothèque, où j'entend déjà résonné la musique. Je finis rapidement ma cigarette, jette mon mégot sur le sol, et me présente au videur. Il me laisse entrer, comme je l'avais prédis, dans la boîte de nuit obscure. Je ne reconnais personne, appart quelques personnes de ma confrérie tout au plus. Le bruit est assourdissant, mais ça ne me gêne pas particulièrement. Je décide donc de m'installer au bar, sur un tabouret. Un homme, la vingtaine, déblatère je ne sais quoi à une pauvre jeune femme qui a l'air d'en avoir assez. Je m'assois à côté de cet homme, lui tapotant gentiment l'épaule. Il se retourne vers moi, les yeux mi-clos. « Hé mec, tu vois le bonhomme là-bas ? » dis-je en l'aidant à tourner sa tête de l'autre côté. « Il m'a dit qu'il voulait te parler. » Je mens, bien entendu. Mais je ne pouvais me résoudre à laisser cette jeune femme subir l'haleine alcoolisée de cet homme toute la soirée. Après avoir fait une bonne action, celui-ci titubant jusqu'à l'autre bout de la pièce, je commande un whisky, les yeux dans le vide.

On ne me qualifie pas toujours comme sociable, ça c'est certain. Je n'avais pas du tout eu l'intention d'engager la conversation avec cette jeune femme, je ne m'attendais même pas à un merci. Pour moi, c'était normal. Mais malgré le fait que je sois quelque peu introverti, je n'allais pas la repousser, loin de là. Quand j'entend soudainement sa voix, je tourne mon regard grisâtre vers le sien. Malheureusement, j'ai un peu de mal à le capter, elle semble m'éviter. Elle est très jolie, j'adore ses cheveux blonds. Je n'insiste pas et moi aussi, je regarde donc ailleurs plutôt que de fixer ses prunelles. Je souris légèrement à sa remarque, baissant les yeux vers mes mains. « Je ne pouvais pas le laisser t'harceler, ce ne serait pas juste. » Je la tutoie directement, sans réfléchir. L'atmosphère de la discothèque m'avait poussé à ne pas faire de manière, pour une fois. Je relève mon regard sur le barmaid, qui me sert mon whisky. Je n'aime pas beaucoup l'alcool, appart ce liquide orangé. Je bois une petite gorgée, avant de me tourner à nouveau vers la jeune femme. Cette fois, elle me regarde. Nos yeux clairs s'entrecroisent alors. « Oui, bien sûr. » Je n'hésite pas une seconde à la laisser me tenir compagnie. En effet, je suis venu seul et je ne compte pas le rester indéfiniment. Aux premiers abords, on me compare souvent à un vieux loup qui ne veut parler à personne, mais je ne suis pas comme ça. Je fais rarement le premier pas, et dans ce cas, je suis heureuse que cette fille l'ait fait. Désireux de ne pas passer pour un bougon, j'engage la conversation - du moins, un minimum. « Comment tu t'appelles ? » Une question banale pour deux personnes venant de se rencontrer.. mais pour deux personnes qui se connaissent déjà, c'en devient tout de suite plus compliqué.

Malgré son air intimidé et légèrement ailleurs, cette jeune femme avait l'air de très bonne compagnie. Son air torturé me plaisait, et le sourire qu'elle m'adressa à plusieurs reprises était magnifique. C'était exactement le genre de femme qui me plaisait physiquement, d'ailleurs j'avais l'impression de déjà la connaître. Je crise mes mains sur le bar, tandis que le bruit s'accroît dans la discothèque. Les gens commencent à arriver, encore et encore. Malgré ce brouhaha incessant, j'avais l'impression que nous étions seuls. Le courant passait plutôt bien, même si la timidité se ressentait. Je prend mon verre de whisky dans les mains, attendant qu'elle me dévoile son prénom. Et oui, nous n'avions toujours pas fait les présentations. Alors que j'étais entrain de boire, je faillis m'étouffer à l'entente de son nom. Je toussote quelques secondes, elle doit me prendre pour un fou. Je connais ce prénom : Delilah. Je l'ai déjà entendu quelque part. Ou plutôt, je l'ai déjà lu quelque part. Ce n'est pas possible, pas elle. Celle qui connait tout de moi. Celle que je connais de A à Z. Bordel, je ne sais plus où me mettre. J'espère qu'elle ne va pas s'en rendre compte. Se rendre compte que je suis le Dexter dont elle sait tout. « Dexter. » Je répond froidement, sèchement. J'ai envie de fuir jusqu'à l'autre bout de la ville, tant je suis énervé. Pourquoi fallait-il que je tombe sur elle ? Bon, je n'avais pas tout à fait la confirmation qu'il s'agissait bien de ma Delilah-Rose, mais c'était fort envisageable.

Je sens une grande détresse dans sa voix. Elle est autant - voire plus - paniquée que moi. Je serre les dents, prêt à taper du poing sur le bar. L'énervement prend le dessus, je ne supporte pas la situation. Moi qui suit si secret, si discret.. Seule Kyra, ma petite soeur, sait absolument tout de moi. Elle est ma plus grande confidente. Et maintenant, je me rend compte qu'il y a une seconde jeune femme qui connait ma vie sur le bout des doigts. J'avais laissé cette histoire embarrassante de côté, avec le temps. Mais elle me revenait en pleine figure en une seconde. J'aurais préféré rester dans l'ignorance, que de la savoir dans la même université que moi.. J'étais déboussolé. « Ouais les portables, c'est ça. » Je répond par un grognement. Je ne la regarde même plus. Sa beauté ne m'intéresse plus. Tout ce qui m'intéresse, c'est de savoir si mes jambes peuvent me porter à l'autre bout du monde pour oublier tout ça. Je décide de boire mon whisky d'un trait, hélant rapidement le barmaid. L'alcool, c'est bon pour oublier non ?

Et en plus, elle me menace. Je ne peux m'empêcher de rire nerveusement, roulant des yeux. Elle ne me fait pas peur, et ça, je crois qu'elle ne le sait pas. Cette jeune femme qui connait la moindre parcelle de ma vie ne m'effraie pas. Qu'elle révèle que j'ai agressé quelqu'un pour avoir un peu d'argent. Qu'elle révèle que j'ai fugué de chez moi à l'âge de dix-sept ans.. A présent, les recherches qu'avaient organisé ma mère ont du être annulées. Personne ne doit plus se soucier de notre disparition, et c'est tant mieux. Je me tourne lentement vers la jeune blonde, serrant mon poing sur le bar. Je m'approche de son oreille, employant un ton menaçant à mon tour. « Tes secrets sont bien pires que les miens ma jolie, alors ce serait plutôt à toi de faire attention à ce qui sort de ta bouche. » Habituellement, la méchanceté ne fait pas parti de mes défauts. Je n'aime pas la violence et le chantage, mais je n'ai pas le choix. Je n'oserai jamais dévoiler que Madison - son prénom dont je viens de me rappeler - était prostituée contre son gré. Ce n'est pas dans ma nature. Seulement là, je suis obligé de la faire chanter un minimum, c'est impératif. Alors que personne ne reprend la parole, j'entend le barmaid déposer mon verre sur le comptoir. Je me recule, lui lance un regard noir et me tourne côté bar - les yeux dans le vide. Je bois le liquide orangé à une vitesse déconcertante, comme si j'y étais contraint.

Je voyais parfaitement qu'elle était encore plus mal à l'aise que moi. Après de nombreux mois munis de toute sa vie entre mes mains, je la connaissais plutôt bien. Malgré le fait que nous ne nous étions jamais vus, je savais beaucoup de choses sur Delilah. Bien entendu, la réciproque était également vraie. Malheureusement. Je ne fais que soupirer, passer ma main dans mes cheveux, boire mon whisky. Bordel, je suis entrain de perdre mes moyens. Mais qui réagirait bien dans une telle situation ? Après que je me sois plus ou moins énervé contre elle, je sens qu'elle est au plus mal. Ce n'est pas mon genre de faire du chantage, surtout à quelqu'un qui n'a rien demandé. Mais j'y suis contraint, j'ai bien trop peur qu'on découvre la vérité sur moi. Certes, les choses sont moins graves dans mon cas que dans le cas de la jeune femme. Je me met à sa place quelques secondes, me doutant qu'elle avait du mal à digérer la nouvelle. Je m'en veux déjà de lui avoir fait peur, surtout quand elle me lance un regard des plus attristés. Je préfère ne pas le soutenir plus longtemps, c'est trop difficile. Je l'entend murmurer, d'une voix presque inaudible. Je lance un coup d'oeil vers elle et je constate qu'elle ne sait plus du tout où elle en est. Je décide de me prendre en main, et je m'approche un peu de Delilah. Je souffle un bon coup, terminant le l'alcool que contenait mon verre. « Excuse-moi, je ne voulais pas te faire.. peur. » dis-je, me mordillant la lèvre inférieure. Je ne cherche même pas à trouver son regard, je sais qu'elle m'évite. « Tes secrets sont bien gardés avec moi, je te le promet. » J'aurais peut-être dû dire, ta vie. Après tout, je connaissais presque tout d'elle, ce qui me rapprochait involontairement de sa personne.

Elle semble tellement reconnaissante que je ne dise rien, mais je trouve ça plus que normal. Je déteste la méchanceté gratuit plus que tout, et je ne vois pas pourquoi je ferais du mal à Delilah. Je savais qu'elle avait eu la vie difficile, et je ne souhaitais pas lui ressasser des souvenirs douloureux. Je ne pouvais pas imaginer ce qu'elle avait enduré, mais j'étais conscient du mal qu'on lui avait fait. Etre vendue comme objet par ses propres parents.. C'était inconcevable à mes yeux. Je détestais moi-même mon père pour nous avoir frapper ma soeur et moi, mais ce n'était en rien comparable. Je m'approche légèrement d'elle, comme si je voulais la protéger du monde qui l'entoure, la garder dans un monde où aucun mal ne lui serait fait. Je la connaissais peut-être de A à Z fictivement, je ne la connaissais pas réellement. La jeune femme propose alors une option, autant pour elle que pour moi. Je pense qu'elle a raison, au plus profond de moi, mais je ne cesse de me dire que c'est inconcevable. Comment recommencer à zéro dans une situation pareille ? « Ça va être difficile. » Je suis honnête je n'ai pas le choix, et de toute manière elle le sait aussi bien que moi. J'ai envie d'apprendre à la connaître, ça c'est certain. « Je crois qu'on va être obligé d'apprendre à nous connaître avec ce que l'on sait déjà. » Je lève mon regard grisâtre vers son visage d'ange, trouvant enfin son magnifique regard bleuté. Je ne sais vraiment pas comment nous allons nous y prendre, ça semble si difficile.. « Qu'est-ce que tu en penses ? » Je marque une petite pause, passant une main dans mes cheveux bruns, affichant un petit sourire. « Ne te fais pas de soucis, je ne te jugerai jamais. »

Alors comme ça, elle croit que nous n'avons plus rien à perdre ? Moi je pense que si. Il suffit que l'un de nous deux parle un peu trop pour ruiner la vie de l'autre. Je me rend compte qu'elle a beaucoup plus à perdre que moi dans cette histoire, même si je n'ai aucune envie que quelqu'un sache pour mon passé tumultueux. Je suis conscient de mes erreurs à présent, elles pèsent tous les jours sur ma conscience, je n'ai pas besoin que Delilah les expose au grand jour. Tant que nous gardons les secrets de l'un et de l'autre pour nous, tout se passera bien. J'attend quelques temps sa réponse, elle devait certainement être dans les nuages. Après une telle nouvelle, je comprend que la jeune femme rêvasse et réfléchisse dans son coin. « Tu as surement raison.. » Je fais mine d'être d'accord avec elle, car je pense tout le contraire. A mon avis, nous avons toujours quelque chose à perdre dans cette histoire, mais je n'ai pas envie de lui remettre la triste vérité en face. De toute manière, je ne ferais jamais rien de volontaire pour lui faire du mal, elle a l'air si fragile. « Je t'en prie, c'est normal. » J'affirme, la fixant de mes yeux gris. Cette fois, je pense tout ce que je dis, car je sais qu'elle a eu une vie difficile. Je ne peux pas me permettre de la briser comme elle l'a été auparavant. Je remarque qu'elle s'approche de moi, intimidée mais confiante à la fois. Je lui tend un petit sourire, l'incitant à venir près de moi, sans aucune crainte. On me prend souvent pour quelqu'un de bougon aux premiers abords, mais c'est une image. Malgré tout, j'apprécie donner cette image de moi, elle me protège dans un certain sens. J'entend ses questions, auxquelles je me fais un plaisir de répondre. Moi aussi, j'ai envie d'apprendre à la connaître. « Je suis arrivé à Jersey il y a plusieurs années maintenant. Et comme tu le sais, j'ai dû voler pour en arriver là. » dis-je, un petit rire ironique s'échappant de mes lèvres. C'était vraiment bizarre de se dire qu'une personne connaissait les moindres secrets de votre vie. « Comme nous sommes tous les deux étudiants ma soeur et moi, nous vivons sur le campus. Le loyer ne revient pas très cher, c'est pratique. » Je commande deux coca-cola au barmaid, j'ai un peu trop bu depuis le début de la soirée. « Et toi ? Tu es arrivée quand ? »

Finalement, la soirée prend une tournure assez agréable. Moi qui croyait être tombé sur un démon qui allait me hanté sur l'île, je m'étais trompé. Je me rendais compte que Delilah était bien plus effrayée que moi dans cette histoire, je n'avais rien à craindre. L'heure d'apprendre - vraiment - à se connaître a sonné, et j'ai réellement hâte d'en savoir plus sur elle. Je lui avoue que malgré mes gros soucis financiers, j'ai réussi à intégrer l'école de Jersey. A vrai dire, je me moquais de quelle confrérie j'avais intégré, mais celle des Poséidon me convenait le plus. « Oui c'est ça. Mais honnêtement, j'aurai très bien pu me retrouver chez les Hadès ça n'a aucune importance à mes yeux. » avouais-je à la jeune femme, un petit sourire aux lèvres. Une certaine gêne était présente entre nous, même si nous faisions chacun des efforts de notre côté. Après avoir passé commande auprès du barmaid, Delilah me raconte depuis combien de temps elle est ici. J'acquiesce gentiment à sa réponse, posant mes coudes sur le comptoir. « C'est vrai que c'est sympa, c'est pas prise de tête. » En effet, je faisais référence à mon ancienne vie, à Londres. J'avais été recherché par les flics pendant des mois, mais je m'en étais sorti pour arriver jusqu'ici. A présent, j'étais tranquille. J'espérais qu'elle aussi. Je remercie le barmaid après qu'il nous ait servi, et approche le verre de la jeune femme. Je bois directement une grande gorgée du liquide, essayant d'effacer l'alcool de mon corps. « Moi aussi ! J'aime pas vraiment boire habituellement. » Je ris légèrement à mes dires, buvant à nouveau une gorgée du coca cola. Je suis totalement assoiffé de quelque chose sans alcool. « Tu as rencontré des gens ici ? Ça se passe bien ? » Peut-être bien qu'elle avait recommencé une nouvelle vie, avec de nouvelles personnes et de nouvelles connaissances..