CHAPITRE I. Il y a des chansons qui nous donnent envie de danser. D’autres qui nous donnent envie de chanter à tue-tête. Mais les meilleurs chansons sont celles qui nous ramènent à l’instant précis où on les a entendus pour la première fois, et qui à nouveau vous brisent le cœur. Oui il y a bien cette chanson qui me brise sans cesse le cœur. Cette chanson qui passait à la radio quand j'ai quitté mes parents sans jamais me douter que je ne les reverrais jamais. Cette chanson qui a bouleversé ma vie, en bien et en mal. C'était "la vie en rose d'Edith Piaf." Rien n'était rose dans ma vie à vrai dire, au contraire. J'avais douze ans et j'étais plus seule que n'importe qui sur terre. Les placards étaient vides, le frigo aussi, nous n'avions plus que quelques miettes de pain pour manger. Mais ça, mes parents s'en foutaient bien, eux tant qu'ils avaient de la vodka, tout allait bien. J'errais en rue comme un chat affamé quand j'ai vu pour la première fois cette affiche. Cette affiche de cirque qui m'a de suite vendu du rêve. J'imaginais tout dans ma tête, les jongleurs, les clowns, les éléphants, tout. Alors j'ai pris mes dernières économies que j'avais gagné en faisant la manche, j'ai pris deux trois affaires et j'ai dit au revoir à mes parents. Sans savoir que c'était la dernière fois. La seule chose qu'ils m'ont répondu est :
Tu reviendras quand t'auras faim, on le sait. Maintenant, casse-toi. Oh non je n'allais pas revenir, jamais. Et je ne suis jamais revenu. Ils ne m'ont jamais cherché, jamais.
Je suis arrivé devant le cirque quelques heures avant le spectacle. J'ai toujours rêvé de faire partie d'un cirque, j'ai toujours été fasciné par ce monde enfantin. Ce monde qui nous permet de rêver pendant quelques heures, qui nous permet d'imaginer notre vie autrement. Ce cirque qui m'a rendu heureux. J'ai fait le tour du cirque et j'ai observé chaque animal qui était présent. J'ai regardé les jongleurs préparés leur show, j'ai même eu le droit de toucher des serpents. J'étais aux anges et le spectacle allait enfin commencer. Je ne me doutais pas une minute que le spectacle deviendrait ma maison quelques heures plus tard.
J'ai avalé chaque minute du spectacle. Les chevaux, les saltimbanques, les jongleurs, les clowns, les funambules. Tout. Mais c'est plus particulièrement les funambules qui me fascinaient. La hauteur, le risque, la peur au ventre, tout ce que j'aime. Je voulais faire ça de ma vie, sans aucun doute. Je devais me construire ma nouvelle vie, mon nouveau chez moi. Après le spectacle, j'errais seul autour du cirque dans le froid. Mais le froid ne faisait plus effet chez moi, je ne sentais même plus mes doigts. Le cirque se vidait jusqu'à ce qu'il ne reste plus personne à part moi. C'est là qu'elle m'a trouvé. Sëda. Ou la femme qui m'a sauvé la vie. Elle a supplié Loan de m'accepter parmi le cirque parce que j'étais seul et que si on me laissait ici, dieu seul sait ce qui me serait arrivé... C'est comme ça que j'ai trouvé ma place dans le cirque et surtout que j'ai fait sa connaissance.
CHAPITRE II. J’aurais jamais cru qu’on pouvait se faire du mal en s’aimant trop. Mais peut être que si. Elle avait onze ans, soit un an de moins que moi. Je me souviens encore de notre première rencontre. Elle était méfiante, très méfiante et ce n'est que quelques jours plus tard que j'ai enfin pu avoir un mot de sa père. Sa chevelure rousse et ses yeux de labrador me fascinaient. Olympe. C'était son nom. Sans doute son nom de cirque et pas son vrai mais peu importe, moi aussi j'en avais reçu un. Du moins, je l'avais choisi : Ronan.
Moi c'est Olympe mais t'es pas obligé d'être gentil avec moi juste parce que je suis une fille. Ronan. Ravi de te rencontrer moi aussi Olympe. J'adorais son attitude, sa façon d'être si méfiante et si attachante à la fois. Elle, au début, elle me détestait ou du moins, parvenait très bien à me le faire croire. Mais je n'allais pas en rester là, ça non.
C'est quelques semaines plus tard ou plutôt quelques mois plus tard qu'on devint réellement proche. Elle aussi avait été abandonnée par ses parents, même si de mon côté, c'était moi qui avait décidé de partir. Olympe s'occupait des chevaux et moi, je m'entrainais très dur pour devenir funambule. Ce que je voulais faire depuis le premier jour où je suis entré dans le cirque. C'était dangereux et osé, et j'aimais ça. Je l'observais parfois pendant des heures lorsqu'elle s'occupait des chevaux et un jour, elle m'a même appris à monter sur un cheval. Alors je lui ai appris à monter sur un fil. C'est comme ça que notre complicité est devenue bien plus forte. C'était nous contre le monde entier. C'était Olympe et Ronan. Rien de plus simple. Lorsque nous étions tous les deux, on se livrait comme si c'était un réel besoin, on était si proches. Et puis, quatre ans ont passé. Et je me suis enfin décidé. Ses lèvres me faisaient envie depuis des mois, j'avais envie de connaître leurs goûts et surtout, j'avais envie de savoir si elles étaient si douces qu'elles le paraissaient. Je n'ai pas été déçu, au contraire. Cela n'a fait que renforcer notre lien malgré le fait qu'on devait se cacher. Tout le temps. Peu importe, tant qu'elle était avec moi.
CHAPITRE III. On provoque nous même ce qui nous arrive, et ensuite on appelle ça, le destin. Quoi de plus facile quand on choisit un chemin glissant que de prétendre qu’on y était destiné ? Et puis, trois ans plus tard, l'accident. La fin de mon monde, la fin de notre monde. Mon monde qui s'écroule autour de moi et je ne pouvais rien faire. Le spectacle allait commencer, j'étais sur mon fil mais il n'y avait pas assez de lumière, quelqu'un s'en occupa car je vis la première torche s'allumer au loin et je m'engageai un peu plus sur le fil. J'étais presque au milieu quand la fumée monta jusqu'à mes yeux. Je ne voyais plus rien, j'avais du mal à respirer. Mais j'étais entraîné pour ça, je devais rester calme, alors j'ai fermé les yeux et j'ai continué à marcher pour arriver de l'autre côté. Seulement, je n'avais pas vu les piquets qui prenaient feu et qui menaçaient de s'écrouler. J'ai senti mon être se détacher de mon corps et puis plus rien pendant quelques minutes, terribles minutes qui me semblèrent des heures.
Olympe. C'est le premier mot qui sorti de ma bouche lorsque j'ouvris les yeux. Peu importe que tout le monde soit au courant à présent, je devais la voir. Mais quand j'entendis la réponse de Loan, une fois de plus, mon monde s'écroula autour de moi. Alors j'ai fermé les yeux et j'ai dormi pendant deux jours. Deux jours entiers. Sëda venait régulièrement me voir, les médecins disaient que c'était un choc posttraumatique. Rien de plus normal après l'accident. Mais je ne sentais même pas les brûlures qui remplissaient mon corps. Non, je ne sentais que mon cœur brisé en mille morceaux. Olympe était partie. Alors je devais partir aussi. Construire une nouvelle vie, sans elle, sans le cirque. Ma vie entière était bousillée par quelqu'un qui avait cramé le chapiteau en allumant des torches. On a jamais su de qui il s'agissait. Jamais. Mais une chose était sûre, à cause de cette personne, je ne pourrais plus jamais être funambule et pire, je ne pourrai plus jamais faire du sport. Jamais. Ma jambe ne supporterait pas. Je devais me construire une nouvelle vie. Encore.
CHAPITRE IV. Quand on s’accroche trop au passé, on se condamne à ne pas avoir d’avenir. Il m'a fallu du temps pour me dire que mon passé n'était pas mon présent et que je devais faire une croix là-dessus. Il m'a fallu des mois pour dire vrai. Mais j'y suis arrivé, enfin. J'ai décidé de m'arrêter à Jersey, une petite île pas loin de la France. Malgré mon enfance, j'ai toujours aimé la France et Paris. Mais plus pour y vivre. Alors j'ai choisi Jersey. Là-bas, je ne voulais pas reprendre des études, ça non. Je voulais faire quelque chose de mes mains, de mon corps qui m'a si longtemps fait défaut. Je voulais sauver des vies parce que moi, j'avais eu une seconde chance. J'aurais pu crever dans le chapiteau mais non, on m'a sauvé la vie. C'est ce que je voulais faire aussi, sauver des vies. C'est comme ça que je me suis engagé dans la police et ensuite comme volontaire chez les pompiers. J'avais terriblement peur du feu, mais je devais le faire, vaincre cette peur et aider des gens. Petit à petit, la peur s'estompa mais elle était toujours là. Mon talent de funambule m'aidait beaucoup en tant que pompier. Aujourd'hui, je fais ce que j'aime, même si le cirque me manque tous les jours malgré le peu de reconnaissances que nous recevions à l'époque. Aujourd'hui, j'ai fait un trait sur mon ancienne vie et débute une nouvelle. Plus en tant que Ronan mais bien en tant que Julian.