Bordel, cette boîte pesait trois tonnes. Et en plus de ça, elle était tellement haute qu'elle m'arrivait au moins jusqu'aux épaules. C'était dans des situations comme celle-ci qu'on se rendait compte que la vie d'un nain n'était point chose aisée au quotidien. En plus, le concierge n'avait pas été foutu de me trouver un diable ou une brouette, alors je devais traîner ma boîte partout sur le campus, jusqu'à ce que j'arrive devant le dortoir de Callum. Je jetai un coup d'oeil à ma montre : neuf heures. J'espérais qu'il soit plus matinal que le commun des étudiants. Je frappai doucement à la porte. Pas de réponses. Pourtant, j'avais vérifié son horaire et il n'était pas censé avoir cours aujourd'hui. Je frappai une seconde fois et la porte s'entrouvrit légèrement. Bizarre. Je me raclai la gorge. « Quelqu'un est à poil ou je peux rentrer ? » m'écriai-je. Pas de réponse. « Bon. Qui ne répond point consent, hein. J'entre. » Je poussai la porte d'un coup d'épaule et jetai un coup d'oeil dans le dortoir : vide. Je m'avançai prudemment. Toujours personne. Je me dirigeai vers la chambre de Callum, accompagné de mon énorme et fidèle boîte. Il avait laissé sa porte grande ouverte alors je ne me gênai pas pour entrer. Je baissai les yeux sur son lit, dans les draps duquel s'était pelotonné quelqu'un. Je supposai qu'il devait s'agir de Callum. Qui d'autre squatterait son lit à une heure pareille ? « Tu te réveilles, la belle au bois dormant ? J'ai un cadeau pour toi. » Je déposai doucement la boîte en carton sur le sol et m'assis sur le bord du lit. Je soulevai délicatement la couverture pour dévoiler le visage endormi de Callum. « Callum, réveille-toi, c'est pas drôle. » Toujours pas de réponse. Ça devenait flippant. Et son teint anormalement pâle commençait à me rendre parano. Bon, ok, on peut pas vraiment dire que Callum ait déjà eu le teint méditerranéen mais là, il était limite livide. Et s'il était mort ? Je me mis à paniquer tout seul, sans trop savoir quoi faire. Vérifier son pouls ? Bonne idée. Pourtant je n'eus pas le courage de lever la main jusqu'à lui. Je me mis en tête d'attendre bêtement une réponse quelconque ou un « Bouh ! Je t'ai bien eu ! » et si je n'en obtenais pas au bout de cinq minutes, j’appellerai pompiers, ambulance, médecin sans frontière, et tout le bordel.

J’entends des sons qui viennent de loin et j’essaie tant bien que mal de m’y accrocher parce que c’est ce qui me semble le mieux à faire. Je tends les bras vers l’avant mais mes doigts se referment sur du vide. Ca se rapproche et ça s’éloigne aussi sec. Je m’étrangle, je suffoque. « Tu …lles, la ….ois dormant ? J'ai un …r toi. » Je voudrais m’ébattre mais mes membres répondent pas, je suis coincé dans mon propre corps et ça me rend malade de me sentir aussi vulnérable. Je suis incapable de faire un geste ou d’articuler une syllabe, mais je sens néanmoins ce solide malaise qui abonde à l’intérieur de moi. J’ai exagéré, abusé de tout et de rien à la fois, pour la première fois depuis des mois j’ai perdu le contrôle et je me suis laissé transporter par la facilité. « Ca…um, ré…lle-toi, c'… pas drô... » Je sais que quelqu’un se trouve à deux pas de moi mais je suis pas en mesure d’identifier sa voix quand bien même c’est tout ce qui me comblerait dans l’instant. Je tente de forcer sur mes nerfs dans l’espoir de provoquer une quelconque mobilité, une quelconque impulsion qui prouverait que je suis toujours là quelque part à l’intérieur de ce corps qui répond pas parce qu’il est trop faible pour s’y résoudre. Et je sens enfin ma paupière gauche remuer, alors mon iris capte l’éclat de l’ampoule au dessus de mon lit, rien qu’une fraction de seconde. Je respire difficilement, quasiment pas à vrai dire, à petite lampée d’air. J’ai pas eu le temps de voir le visage de la personne qui se trouve là. Je sais qu’il faudrait que je chope sa main, que j’appelle à l’aide, que je dégobille un peu tout ce que j’ai ingurgité la veille mais mes sens sont gelés et je me sens comme détruit, comme si on me supprimait. Je m’en veux de ne pouvoir en vouloir qu’à moi, d’avoir plus que moi-même à qui dire que tout ça c’est ma responsabilité. Je me fais à nouveau violence et cette fois-ci mes deux yeux s’ouvrent en grand pendant ce qui me semble être un peu moins d’une minute. Je reconnais James, mon prof de musique. Je commence à craindre qu’il alerte l’institution entière de la faculté sous la pression. Dans un dernier effort mué par l’inquiétude et la consternation je parviens à émerger de ma léthargie et m’élance immédiatement sur le côté du lit, dégageant mes draps et dévoilant le haut de mon corps dévêtu avant de pencher ma tête hors de celui-ci pile au moment de rejeter pêle-mêle un surplus d’alcool, des restes de cachets et un amalgame confus de bouffe digérée depuis un bail. Et puis je reste dans cette position, à nouveau désarmé et inapte à me mouvoir, gémissant dans un langage énigmatique.

J'attendais, fébrile, sans trop savoir quoi faire. Était-ce vraiment rendre service à Callum que d'appeler une ambulance ? Les médecins constateraient sans doute qu'il a avalé des trucs pas nets et que s'il était dans cet état, il ne pouvait s'en vouloir qu'à lui-même et assumer. Mais surtout, ils ne pourraient pas garder cette information secrète et je n'étais pas certain que la prise de drogues ferait bon genre dans le dossier de Callum. Sauf que s'il se tapait une overdose, j'avais pas l'intention de le laisser crever là, tout seul, sans avoir rien tenté. Je me penchai doucement au dessus de lui, contemplant son visage inerte. J'étais sur le point de composer le numéro des urgences lorsque je remarquai que ses paupières étaient en train de bouger. Réflexe involontaire ? Spasme ? Début d'un réveil difficile ? Je continuai à l'observer, sans savoir, lorsqu'il ouvrit grand ses yeux, comme pris d'une convulsion soudaine. Il se jeta sur le bord du lit, pencha sa tête en avant, et se mit à régurgiter. Il ne me fallut pas moins d'une seconde pour me précipiter dans la pièce voisine, y prendre quelques feuilles de papier absorbant, et revenir dans la chambre de Callum. J'étais mort d'inquiétude et complètement paniqué. Je n'avais jamais été confronté à ce genre de situation et je ne savais absolument pas si j'étais capable de l'affronter. Je déposai quelques feuilles sur la flaque de vomi, et en utilisai une autre pour essuyer la bouche de Callum. Je n'étais pas convaincu qu'il soit capable d'exécuter ce geste simple par lui-même, vu son état. Pour éviter qu'il ne s'étouffe dans son propre vomi, je tentai de le coucher sur le dos puis, de le redresser, de façon à ce qu'il se retrouve en position assise. Je le laissai s'appuyer contre mon épaule. Son corps se laissait aller de tout son poids, comme s'il était endormi ou dans le coma. Je me penchai légèrement en avant pour soulever la feuille de papier absorbant déposée sur le vomi et constatai, sans trop de surprise, que quelques pilules y traînaient. « Callum, il faut que tu me dises ce que tu as pris, d'accord ? Il faut vraiment que j'appelle un médecin, tu comprends ? » Le jeune homme semblait toujours dans le gaz et je n'étais même pas certain qu'il soit conscient à 100% de ce qui se passait autour de lui. « Callum, si tu comprends ce que je dis, hoche la tête ou fais-moi un signe quelconque, pitié. » grommelai-je en essayant d'extirper mon téléphone portable de la poche avant de mon jean, prêt à composer le numéro des urgences.