C'est le 6 mars 1992 que je suis née. Un vendredi plutôt ensoleillée en Norvège et je m'étais pointée en plein milieu de la journée, à l'heure de la sieste comme me dit souvent mon père. Apparemment, je n'étais pas encore née que j'étais déjà prédestinée à faire toutes mes arrivées comme un cheveu sur la soupe. Ma mère n'était pas du genre à vouloir, voir même pouvoir, garder un même homme très longtemps, et pour ainsi dire, mon père n'était que de passage dans sa vie, et donc dans la mienne. Elle avait déjà eu mon frère aîné avec un autre homme qui n'a jamais donné signe de vie après avoir prétexté l'envie d'acheter un paquet de clopes. Ratée, voilà le mot qui résume la vie de ma mère. Maintenant que j'ai retrouvé mon père, je comprends pas pourquoi elle n'a pas cherché à le garder, pourquoi elle ne s'est pas battu. Faut croire que ça l'ennuie quand un homme et doux et sincère avec elle. Oh oui, depuis mon plus jeune âge, il en est passé des hommes à notre table qui jouaient les pseudo-pères en nous disant de ne pas mal répondre à notre mère. Et plus ils étaient nombreux, plus je les haïssais. Malgré mon jeune âge, je ne voyais dans les hommes que des êtres sans volonté que ne vivent que pour profiter des femmes, et en l’occurrence, ma mère. Et puis un jour est arrivé le mauvais. Le mauvais homme dans la vie de ma mère, le mauvais homme de ma vie aussi.

Lui, il a posé directement ses bagages. J'avais beau avoir seulement six ans, je me rappelle parfaitement de ce jour. Celui où ma mère s'était habillée en vraie pin-up, et je savais parfaitement ce que ça voulait dire : un nouveau allait venir vivre à la maison et l'enfer allait reprendre. Seulement, l'enfer je le calquais sur ce que j'avais vécu, mais ce n'était rien comparé à ce qui a suivi. Le véritable diable on ne le croise qu'une seule fois dans sa vie, et j'ai la honte de pouvoir dire qu'il a vécu sous mon toit. J'ai cru qu'il partirait, j'aurais même été heureuse d'entendre une nouvelle crise de larmes de la part de ma mère, de l'entendre ouvrir les fenêtres et d'y balancer à travers toutes les affaires de cette ordure. Mais non, cette fois elle avait décidé de souffrir en silence, parce que monsieur avait "remis la femme à sa place", comme il se plaisait à dire, et que l'époque de rebellions de ma mère était belle et bien révolue. Mais plus je grandis, plus je me sens passer à côté de tout, plus je vois ma mère souffrir, et plus je souffre. L'apothéose à cette histoire, c'est qu'elle lui a laisser lui faire six enfants. Six enfants, j'en reviens toujours pas. Il suffisait juste qu'elle dise non, mais pour elle, ces neufs mois c'était une période où il n'oserait pas lever la main sur elle. Un bouclier quoi. A huit ans, j'avais déjà envie de demander à ma mère si elle ne trouvait pas qu'elle ressemblait à une loque. Parce que quand monsieur veut, monsieur peut. Oh oui je les ai surpris, parce qu'il ne s'embête pas de savoir si on est là ou non ; il en a rien à faire, et ma mère trouve rien à y redire. Alors je courrais dans ma chambre, dans mon lit et je me bouchais les oreilles et fermais le yeux longtemps, jusqu'à ce que je m'endorme et que j'oublie ce que j'avais vu.

Heureusement, aller à l'école ça me permettait de m'échapper, mais je prenais bien garde à ce que personne ne se doute que le diable habitait chez moi. Et puis le jour où mon école a ouvert un club de natation, je m'y suis tentée. J'avais d'abord été ridiculisée parce que je n'avais jamais été me baigner, dans la nature ou dans une piscine, mais j'ai vite compris que si j'assistais aux entrainements après les cours, ça me permettrait de garder la tête hors de l'eau plus longtemps, c'est l'cas d'le dire. Alors je me suis défoncée et j'aimais ça. J'aimais me voir réussir, voir que j'étais meilleure que ma mère, que je pouvais réussir par moi-même, et surtout voir que ça énervait mon beau-père. Grâce à la natation, j'ai pris confiance en moi, chose dont je ne me serais jamais cru capable sans. Et un jour, ce beau jour ensoleillé, avec des températures extrêmement chaudes pour la saison et pour notre pays, est arrivée la fois de trop. La goutte d'eau qui fait déborder le vase. La goutte d'alcool qui te fait vomir. J'étais occupée à donner à manger au bébé, la petite dernière qui ne savait pas encore quel bâtard était son père. Monsieur voulait coucher ce soir après la soirée qu'il avait passé au bar, et que ça saute ! C'était le moment de faire sortir tout le monde. Mon frère ainé n'était pas là cette semaine et ce salaud en profiter pour se plaindre de lui à ma mère, il voulait le faire dégager. J'ai emmené mes frères et soeurs se coucher. Oui c'était pas l'heure et oui ils n'avaient pas envie mais en voyant le désespoir et la fatigue dans les yeux de ma mère j'ai su que c'était le moment. Par précaution, j'ai placé des chaises sous la poignet de la porte d ela chambre de me frères et soeurs et je suis allée dans la salle de bain. J'ai laissé couler le robinet jusqu'à ce que la vasque du lavabo soit prête à déborder et je me suis rincé le visage ; j'ai fixé mon reflet pendant quelques minutes. J'étais prête. C'est fou comme tout va si rapidement. Ca ne m'a pris que quelques secondes pour ouvrir le tiroir et pour ensuite remonter dans la partie de la maison où se trouve la chambre de ma mère et de mon beau père. J'entendais ma mère pleurer, parce qu'elle n'avait pas envie ce soir, parce qu'elle était fatiguée. Tout ce qu'il trouvait à répondre c'est qu'une femme doit toujours être disponible pour son mari. C'est bien un discours digne d'une merde comme lui, ça. Il ne m'a pas vu arriver par derrière, et c'était encore plus jouissif. Ma mère était allongée sur le lit pendant que monsieur en chiait pour enlever son pantalon. Et je l'ai poignardé, j'ai pas arrêté : le dos, le cou, les reins, tout y est passé. Trente-quatre coups de couteau a déclaré le juge lors du procès. Une boucherie apparemment.

Pendant un an, jusqu'à mes quatorze ans j'ai fréquenté cette maison de redressement. Le paradis par rapport à ce que j'ai vécu depuis ma naissance. Je ne me préoccupais de pas grand chose me concernant, j'ai juste attendu de partir, en espérant que ma mère arrivait à prendre mes frères et soeurs en charge et que mon grand frère veillait sur elle comme il faut. Un an sans les voir, j'avais juste envie d'une vie de famille normale et j'étais bien prête à tout pour ça. Pourtant, quand je suis revenue, ce sont des insultes qui m'ont accueilli. La honte de la famille, m'avait dit ma mère, j'avais soit disant détruit sa vie et celle de mes frères et soeurs en n'ayant pensé qu'à moi. Pourtant je leur ai dit pendant les deux années qui ont suivi que j'avais fait ça pour eux : parce que personne ne méritait une chose pareille. Personne ne méritait cette vie. Ma mère me dit que je l'avais déçue et je lui ai seulement rétorqué que je n'avais plus aucune estime pour elle. Mon frère aîné est resté seulement quelques mois de plus chez nous, et à ses dix sept ans il est partit lui aussi, en claquant la porte. On n'était pas brouillés, il comprenait mon geste mais ne se sentait plus capable de faire partie d'une telle famille. Je me sentais trahie et abandonnée par la seule personne qui semblait me comprendre un tant soit peu. Si ma mère n'avait pas l'obligation de me garder jusqu'à mes seize ans chez elle, elle m'aurait laissé crever dans un caniveau j'en suis certaine. Et puis pendant cette année, elle avait eu le temps de monter mes plus grands de mes frères et soeurs en âges de comprendre, contre moi. Une manipulatrice. C'est à cette période que je me suis demandée si elle ne méritait pas en fait les hommes qu'elle ramenait chez nous. Alors je me suis prise en main. J'ai fait des recherches, j'ai harcelé ma mère, j'ai fait tous les commerces pour demander si quelqu'un se souvenait de mon père. Au bout d'un an et demi j'ai eu un nom, une adresse. Le jour de mes seize ans, c'est moi qui ai claqué la porte de la maison en traitant ma mère de trainée. J'espérais bien ne jamais la revoir.

Mon père je l'ai retrouvé rapidement, puisqu'il a fait fortune cinq ans après ma naissance. Célibataire, un homme charmant que j'ai appris à connaitre au fil des années et qui a su m'accueillir comme il se doit. Il a longtemps hésité à venir me chercher mais apparemment, ma mère lui avait clairement dit que s'il pointait son nez, elle appellerait la police et inventerait un énième mensonge afin qu'il ne puisse pas s'approcher de moi. Lui aussi il a subi les caprices de ma mère. J'ai vécu chez lui dès cet instant ; il m'a appris la vie, la vrai, m'a appris à me sentir coupable de mon crime. Il comprenait mon geste, lui aussi, mais me faisait comprendre que c'est quelque chose dont je dois avoir honte, alors que j'en étais plutôt fière. Mon père m'a proposé d'aller étudier à Jersey histoire de me faire changer d'air, de commencer "ma vie" comme il le disait. Évidemment, au vue de mon casier judiciaire, l'administration n'était pas tellement convaincue, mais contre une valise de billets bien remplie, peu de gens sont prêts à dire non.