you know my name, not my story.
« La première règle, c'est de jamais s'laisser attendrir. Oublie pas que ce sont pas des enfants d'coeur. » Je hoche simplement la tête, l'écoutant à peine. Il se tient bien droit à côté de moi, les muscles raides de discipline. Son regard est vide et froid. Imperturbable. Il fixe la masse de corps frêles, emmaillotés dans des combinaisons trop larges, qui finit par s'agglutiner autour de la cantinière, remplissant les plateaux à la chaîne. Mon regard survole à peine la foule de prisonnières, complètement désintéressé. J'ai même pas envie d'être là. J'aurais presque préféré que toutes ces tarées se jettent sur moi pour me mettre en pièce plutôt que de continuer à l'écouter.
« La deuxième règle, c'est qu'y faut toujours te t'nir sur tes gardes. Même quand elles sont sous la douche et qu'elles ont l'air complètement démunies. » Je soupire. Une prisonnière en fait trébucher une autre, lâchant un rire goguenard quand sa victime atterrit la tête la première dans l'infâme purée de son plateau. Je me marre intérieurement. C'est peut-être le seul truc divertissant qui s'est produit depuis que j'ai mis les pieds ici.
« La troisième règle, c'est qu'il faut jamais entrer en contact avec les détenues, sauf nécessité extrême. » T'façon, j'ai aucunement envie d'un corps à corps avec l'une de ces psychopathes. Le maton consulte sa montre avec un regard indifférent.
« Viens, on sort, c'est la pause clope. » Il sort déjà son paquet de cigarette de l'une des poches de son uniforme et pivote sur ses talons, sans un regard dans ma direction. Je le fixe s'éloigner un moment, son pas lent résonnant dans tout le couloir. Mes yeux se posent alors avec égarement sur un groupe de détenues, assises autour d'une table, en train de me dévisager. Elles me font un signe inquiétant de la main, dévoilant une partie de leur bouche édentée, ce qui me convainc de filer au plus vite.
« Remuez vos miches, on a pas toute la nuit. » marmonné-je en consultant ma montre, dont la vitre du cadran se recouvre doucement de buée. Les détenues quittent les douches progressivement, défilant devant moi nues comme des vers sans m'arracher le moindre frisson ou regard lubrique. Après avoir enfilé leur combinaison, elles retournent dans leur cellule d'un pas mollasson. Une seule d'entre elle s'attarde dans les vestiaires, avant de s'approcher de moi, une fois à l'abri des regards. Elle pose sur moi ses grands yeux humides et fiévreux.
« T'as l'argent ? » lui demandé-je d'un ton froid. Ses mains frêles s'agrippent à ma chemise, comme si j'étais sa dernière bouée de sauvetage dans une mer agitée.
« Il me manque cinquante livres, Lewis... Cinquante pauvres livres... Tu me ferais bien cette fleur, non ? Pour une fois..? » Je la dévisage avec mépris avant de rejeter brutalement ses mains.
« Et ce sera quoi, la prochaine fois ? Cent livres ? Puis cent cinquante ? T'as l'argent ou t'as pas ta dose, c'est tout. J'ai pas à te faire de cadeau. » lâché-je avec un petit sourire arrogant. Malgré le fait que je l'aie repoussée, elle tente une nouvelle approche, plaquant presque complètement son corps au mieux avec une étincelle de dégoût dans le regard.
« J'ai vraiment besoin de ma dose, Lewis... Je ferais n'importe quoi... » Avant de lui laisser le temps d'écraser ses lèvres sur les miennes, je la repousse violemment, si bien qu'elle s'effondre sur le carrelage froid. Le dégoût s'efface pour laisser un voile de colère se déposer sur ses yeux. Son visage devient écarlate et je sens bien qu'elle réprime un juron entre ses dents serrées.
Il quitte le bar avec ce sourire stupide qui sied à merveille à sa tête de bouffon. Planqué derrière un conteneur à ordures, j'ai du mal à me retenir de me jeter sur lui, de lui coller quelques châtaignes bien placées... Pourtant, je serre simplement les dents et les poings. J'avance vers lui, déterminé à lui faire cracher le morceau, d'une façon ou d'une autre. Lorsqu'il reconnaît enfin ma silhouette foncer sur lui, il me dévisage, surpris. Mais je suis certain qu'il sait pourquoi je suis là. Dans un élan de colère impossible à contrôler, je le saisis par le col pour le plaquer violemment contre le mur le plus proche.
« Pourquoi tu nous a dénoncé ? Tu pouvais pas te mêler de tes oignions, non ? » Son regard fait des allers et retours incessants de mon oeil gauche à mon oeil droit.
« De quoi tu parles, Lewis ?! T'es devenu fou ou quoi ? » Mes doigts se crispent involontairement sur le tissu. Son hypocrisie me met hors de moi, ce qui déforme mon visage d'un rictus malveillant.
« Tu sais très bien de quoi je parle ! De Drizzle et moi..! » Ses traits se défroncent subitement, son regard parcouru d'un vague sentiment de pitié.
« Qu'est-ce que j'ai à voir là-d'dans, hein ? J't'avais dit de pas t'attacher, de pas t'approcher des détenues mais t'en as jamais eu rien à foutre, Lewis. T'es qu'un sale égoïste et si ça te retombe dessus, tu peux t'en prendre qu'à toi-même ! » Il me repousse violemment pour se détacher de mon emprise. Je suis encore plus en colère. Je n'ai pas envie d'admettre qu'il a raison. En fait, le simple fait qu'il
puisse avoir raison me frustre profondément, me déchire le cœur en mille morceaux, comme s'il n'était pas suffisamment abîmé.
« Et t'as fait ça pour me donner une leçon, c'est ça ? » rétorqué-je sur un ton blessé, le torse bombé d'arrogance.
« Tout le monde savait pour vous deux, okay ? Mais moi, j'ai rien dit. » Il ajuste son col avant de partir, sans rien ajouter.