Chapitre 1 : Le développement d’une rose.

Liverpool, 20 octobre 2002 + « Cher journal, une fois de plus, je suis obligée d’écrire ce que je ressens. Je ne sais même plus pourquoi je dois le faire, juste que c’est une sorte d’obligation que m’a donné maman. Je le fais depuis déjà très longtemps parce qu’on me pousse à utiliser le moins souvent possible la peinture pour m’exprimer. Ah voilà ! C’est pour ça, je dois écrire : pour me livrer à quelque chose – qui n’est pas forcement humain – et non à l’aide de mes peintures. Même si je ne vois pas la différence entre m’exprimer à travers la peinture ou m’exprimer à travers un journal intime, je le fais quand même. Comme nous sommes en pleine semaine, j’ai dû aller à l’école, heureusement, j’ai pu manger avec mon frère Zachary à la cantine. J’aurai mangé toute seule aussi non parce qu’aucune fille de ma classe ne veut manger avec moi. Maman me dit qu’il faut que je me décide à leur parler pour que ça change, mais j’ai pas trop envie. La dernière fois que j’ai parlé à papa, il m’a dit que j’étais « introvertie », quand je lui ai demandé ce que ça voulait dire, Zac m’a dit : « laisse tomber Shak’, papa dit des bêtises. C’est juste les filles de ta classe qui sont trop idiotes pour ne pas vouloir te parler juste parce que tu ne leur parles pas. » Lorsqu’il a dit ça, maman a regardé papa et il n’a plus rien rajouté. C’était il y a trois jours. Depuis, je ne vois plus papa au repas du soir parce qu’il a beaucoup de travail, mais on en a l’habitude, après tout « être avocat demande beaucoup de travail personnel, comme lorsqu’on est à l’école ». A partir du moment où Zac m’a dit ça, j’ai su que je ne deviendrai jamais avocate… Ni secrétaire comme maman, elle doit toujours répondre au téléphone et prendre des rendez-vous. Ça doit être long à force… Je ne sais pas encore ce que je veux faire, mais je sais que ça sera en rapport avec la peinture. Même si on m’interdit d’en faire maintenant, lorsque je serai grande, je pourrai faire ce que je veux, du coup, je peindrai toute la journée, sauf pour manger et dormir. Comme ça, je pourrai faire ce que j’aime. Je dois te laisser, maman m’appelle pour le goûter et après je dois faire mes devoirs. A bientôt. »


Chapitre 2 : L'heure sonne l'arrivée des chrysanthèmes.

Liverpool, 3 novembre 2007 + « Voilà, c’est fini. On l’a enterré. Après seulement dix-sept année de vie sur la Terre, il y est à présent à six pieds en dessous. Je n’arrive toujours pas à m’y faire, comment le pourrais-je ? Mon frère est… Il est… Je n’arrive même pas à l’écrire – et encore moins à le dire –, je peux facilement dire qu’on l’a enterré, qu’il s’est éteint, que c’est fini, mais associer clairement la Mort et lui m’est impossible. Est-ce normal ? Je ne sais pas. Je n’ai même pas envie de savoir. J’ai juste envie d’oublier ce putain d’enterrement où ils ont passé des vidéos de lui en train de s’amuser. Envie d’oublier les larmes continues de maman depuis qu’on lui a annoncé la nouvelle. Envie d’oublier la tempête qui semblait s’être abattue dans le bureau de père après qu’il ait apprit à son tour la nouvelle. Envie d’oublier que s’il n’était pas parti skier avec ces amis dans les Alpes, il serait probablement encore avec nous. Envie d’oublier tous ces moments passés avec lui et surtout oublier cette douleur insupportable au niveau de mon cœur qui ne me quitte plus depuis maintenant une semaine. Je veux tout oublier. Absolument tout. Alors je peins, tout et n’importe quoi certes, mais j’arrive au moins à m’évader un instant. Pendant quelques secondes, je ne pense à rien, je fais le vide… pour tout me reprendre en plein dans la gueule. Mon père presque tout le temps absent. Ma mère dévastée. La pitié dans le regard des autres. Mon incapacité à m’exprimer. Mon envie de partir loin de ces lieux qui me rappellent tant de souvenirs. Ma solitude. Ma douleur. Sa disparation. Absolument tout. Pourtant, je reste là, à peindre comme si ma vie en dépendait, comme si je voulais cesser de réfléchir, cesser de vivre. Pourtant, je ne peux pas, je l'aime trop pour ça. Mais aujourd’hui il n’est plus là et je commence enfin à réaliser la portée de son absence pour les autres, la portée de sa mort pour moi. »


Chapitre 3 : L’absence d’une étoile sur Terre.

Liverpool, 25 janvier 2008 + « Ca y est, je l’ai fait enfin. Après quelques mois à attendre et une tonne d’économie dépensée, je me suis enfin fait mon tatouage. J’ai eu le temps de peser le pour et le contre mais j’en avais réellement envie, presque besoin. Peut-être est-ce moi-même qui me suis inventée ce besoin mais il était tout de même bien présent. J’y ai pensé le jour où j’ai oublié la voix de Zachary. Quelque chose d’assez banale en soi mais que je n’avais pas réussi à accepter. Je ne pouvais pas oublier, ni lui, ni sa voix, ni son regard. J’avais donc voulu me graver son existence sur le corps. Bizarre pour certains, naturel pour moi. Je me retrouve donc aujourd’hui avec un cœur surmonté d’une croix symbolisant la mort sur le poignet. C’est simple. C’est discret. Mais c’est suffisant. Quoique, j’aurai aussi bien pu me la faire tatouer sur la joue que mes parents ne l’auraient pas remarqué. Depuis sa mort, papa bosse beaucoup – si cela est humainement possible – mais je le soupçonne d’éviter le plus possible d’être à la maison. Soit à cause de ses propres souvenirs, soit à cause du comportement de maman. Elle n’a plus été la même après le décès de Zac. Nous n’avons d’ailleurs pas le droit d’en parler devant elle, étant trop fragile, papa m’a interdit – à moi comme à quiconque – d’en parler ou de dire son prénom. Ça fait d’ailleurs quelques mois qu’elle a arrêté de voir son psy. Pas parce qu’elle allait mieux mais parce qu’elle ne voulait pas de son aide. Depuis, elle s’est faite renvoyer de son travail et elle s’est mise à la boisson. Oh c’est vrai qu’au début, c’était un verre de vin le soir, puis deux verres et ainsi de suite. A présent, je sais qu’elle ne pourrait pas s’arrêter toute seule et dès que je lui en parle, elle fait la sourde oreille et dit qu’elle n’a aucun problème. Pour ce qui est de papa, il ferme les yeux et ne veut pas voir que sa femme est devenue alcoolique. C’est peut-être pour ça qu’il va voir d’autres femmes ? Oh mais je ne divague pas, je l’ai surprit entrer dans un hôtel en belle compagnie. Quant à moi, je vais au lycée, pour essayer de m’en sortir et de ne pas devenir comme mes parents. Je préfère encore mourir qu’être comme eux…. Une fois de plus je dois te laisser, je dois relire le dernier tome Harry Potter. A bientôt. »

Chapitre 4 : Partir pour mieux renaitre.

Près de Jersey, 25 août 2009 + « J’y étais enfin. Toutes ces dernières années à bosser au bahut alors que la plupart ne foutaient quedal. Finalement ça avait fini par payer. J’avais été admise à l’Université mondialement connue de Jersey ! Quand je pense que quelques-uns c’étaient foutus de ma gueule quand j’avais annoncé le premier jour de ma dernière année au lycée que je visais Jersey, c’est à mon tour de rire d’eux à présent car la plupart vont rester dans leur banlieue minable à travailler pour pas un rond tout en faisant une ribambelle de gosses. Y a-t-il une justice finalement ? Peut-être, cela dépend du point de vue que l’on prend. Mais moi, je pense que si elle existe belle et bien alors pour une fois elle est de mon côté. Bon, j’avais tout de même dû abandonner mes parents même s’ils ne m’avaient pas vraiment donné de raison pour culpabiliser. D’autant que nous nous n’étions pas dit au revoir. D’un côté ça m’attriste mais d’un autre, je sais que le fait d’être ignorée m’aurait rendu encore plus triste donc coup j’accuse le coup assez bien. A vrai dire, je suis partie grâce à mes maigres économies, celles que j’avais gagné lors des interminables heures de babysitting que j’ai dû effectuer pour payer mon billet d’avion. Oui oui, j’ai eu d’énormes envies de meurtres, de tortures et de trucs plus glauque les uns que les autres, mais je m’en suis sortie –  à mon plus grand étonnement – et je suis heureuse qu’il n’y ait pas beaucoup de gosses là où je vais. Quoique, ça sera peut-être pire. D’autant plus avec la présence des fraternités. J’en ai vaguement entendu parler et du peu que je sais, je me vois plus chez les Apollons, après tout je vais faire des études dans l’Histoire de l’Art. Bon il est vrai que j’aurai préféré faire de l’arts plastiques mais je pense avoir assez de temps pour peindre durant mon temps libre. Au pire, je prendrai sur mes heures de sommeil… Bon c’est pas tout mais le temps passe et l’avion commence sa décente. A très bientôt. »