TIPHAINE ⊱ Hello ! How're you ? I'm hungry... Mum ? Tiphaine traversa l'entrée et tendit sa veste à un domestique avant de dépasser le salon et la salle à manger pour parvenir à la cuisine du manoir. Elle allait embrasser sa mère mais celle-ci se mit à pleurer... What ? Ce fut le mot de trop, elle se leva d'un bond et la gifla. La ferme Tiphaine ! Tais-toi... Cesse de parler anglais, d'avoir des manières d'anglaise, de t'habiller avec des marques anglaises et de cuisiner anglais ! Encore sous le choc de la gifle, la jeune femme dévisageait sa mère, une main sur sa joue. Ce n'est pas en parlant comme ton père que tu vas le garder près de toi ! Il est MORT, Tiphaine, MORT ! Alors voilà, c'était cela le fameux problème. Je t'interdis de parler de papa ! C'est certain qu'avec ta bilinguité minable et ton accent pourri, tu ne peux pas comprendre que ça me rapproche de lui. Elle parut paralysée et Tiphaine en profita pour tourner les talons. Lorsqu’elle repassa devant la cuisine, ses valises à la main, sa mère se réactivait aux fourneaux et ne la vit pas. Naïa attrapa sa veste et sorti pour ne plus jamais revenir...

Hey, qui voilà, la petite gosse de riche est accro, hein !? Tiphaine le regarda à peine et lui tendit l'argent. De la drogue, oui, c'est ce qu'elle venait chercher. Après la cigarette et l'alcool, elle avait voulu essayer. Pour tout vous dire, elle avait un trop grand nombre de verres au compteur lorsqu'elle y avait goûté pour la première fois. Elle avait beaucoup bu pour un cap ou pas cap et son deuxième gage avait été de se droguer. Elle n'avait pas réfléchi elle en était d’ailleurs incapable sur le moment, et avait directement accepté. Gardes tes réflexions pour toi, tu veux, et donnes moi ce que je suis venue chercher. La jeune femme prit le paquet qu'on lui tendait et tourna les talons sans un remerciement. A quoi bon remercier quelqu'un de vous fournir ce qui vous empoisonne...

Hey, j'ai dix-sept ans, c'est pas ton problème. Lâche-moi ! Naïa se dégagea de l'emprise du lourdeau qui croyait la protéger et monta dans le taxi, suivie de sa nouvelle conquête. Non, elle n'était jamais avec la même personne chaque soir. Après quelques verre et un peu de drogue, elle se laissait emmener pas n'importe qui, hommes ou femmes. Enfin, non, pas n'importe qui. Elle parvenait tout de même à rester sélective, elle ne laissait pas tout le monde la toucher... Ce n'en était pas moins incompréhensible. Une fille riche, heureuse, intelligente qui passait finalement son temps à se droguer et à coucher avec un peu tout le monde. Une gamine partie pour faire de belles et longues études devenue une petite traînée droguée...

Comment en es-tu arrivée là, ma Nana ? La jeune femme enfoui son visage dans le creux de son cou sans répondre. Son meilleur ami, qui la trouvait totalement défoncée, à rire toute seule vers quatre heures du matin, et qui la ramenait chez lui sans poser de question, c'était un peu trop demander. Il fallait bien que cela arrive, qu'un connaissance la retrouve. Et lui... lui pouvait savoir, lui pouvait comprendre. Sentant son regard insistant sur elle, Tiphaine se redressa et secoua la tête et pour écarter ses cheveux de son visage et pour reprendre ses esprits. Après un peu de café et cinq minutes à pleurer comme un bébé dans les bras du jeune homme, elle pouvait s'exprimer à peu près intelligiblement. I don't know... I... Je... An argument with my mother, a game and... Il avait l'habitude qu'elle s'exprime en anglais, depuis le temps... Cette nuit là, il lui laissa son lit et dormit dans le canapé du salon. Lorsqu'il se réveilla le lendemain matin, elle était couchée à côté de lui et dormait à poings fermés. Tiphaine resta trois jours chez lui, et elle paraissait parfaitement normale. Du moins, jusqu'à ce qu'il comprenne qu'elle avait de la drogue dans son sac, ce qui lui permettait de tenir bon. Quelle déception... Aujourd'hui, elle le sait, il a fait ce qu'il croyait bon, ce qui lui paraissait le mieux. Ce qu'il devait faire. Ce jour là, Naïa Tiphaine Carthew se retrouva dans un centre de désintoxication.

Naïa... Tiphaine. Bon, d'accord, Tiphaine... Alors, Tiphaine, tu veux nous parler ? On ne t'entend pas beaucoup. La jeune femme se cala dans son siège et croisa les jambes, puis les bras. Elle mâcha lentement son chewing-gum en haussant un sourcil, l'air de dire " Tu t'moques de moi ?! " Cela faisait deux semaines que les médecins et psychiatres du centre se heurtaient à cet air je-m'en-foutiste et hautain. Ils persévéraient, il fallait au moins leur accorder cela, d'accord. Malgré son manque, malgré son mal, malgré tout, Tiphaine ne se confiait pas. Elle en montrait aucun signe de faiblesse, mais elle souffrait, et le manque se faisait ressentir. Bientôt, elle aurait droit aux visites. Mais quelles visites... Si c'était sa mère, qu'elle ne tente même pas. Si c'était son meilleur ami, qu'il ne se croit plus considéré comme tel. Non, elle ne voulait voir personne. Le seul être qui aurait pu lu rendre le sourire, l'aider à supporter cela, n'était plus là. Parler anglais ne l'aidait pas, encore moins seule. Et elle ne parlait à personne, alors en anglais...  Ah, Paris, vivement qu'elle en sorte !

Tiphaine prit le billet d'avion qu'on lui tendait en murmurant un merci quasiment inaudible. Elle avait changé, réellement, et pour mieux que ce qu'elle avait pu être auparavant. Même enfant, elle n'était pas aussi... bien. Aussi elle-même. Petite, elle était trop riche, trop sûre d'elle, trop gâtée. Adolescente, avant la drogue, elle était quelqu'un de bien. Oui, elle ressemblait un peu à la Naïa d'aujourd'hui. Après sa bonne période, elle avait dégringolé, vous connaissez l'histoire... Là, à dix-neuf ans, après avoir perdu beaucoup d'argent dans la drogue, après une cure de désintoxication, après des thérapies de groupe, elle était simplement elle-même. Toujours riche, avec l'héritage qu'elle avait de ses grands-parents et de son père, mais moins sûre, moins gâtée. Elle avait gâché trois années de sa vie dans l'alcool, la drogue et le sexe, trois années qui auraient dû être les plus belles et qui avaient été les pires. L'île de Jersey, l'île aux fleurs, était censée être un nouveau départ - nouvelle ville, nouvel entourage, nouvelles études, nouvelle habitation - excepté elle, Naïa Tiphaine Carthew, elle et ses souvenirs, plus rien ne pouvait lui rappeler son passé. Elle tenterait d'oublier, mais, en général, ce sont les souvenirs les plus lourds à porter qui nous reviennent le plus facilement en mémoire. Ces souvenirs-là ont le pouvoir de changer une vie de manière fondamentale - et de façon définitive. Et peu importe que vous réussissiez ou non à vous en débarrasser : ils auront laissé en vous des traces indélébiles.
Quelques heures plus tard, l'avion se posait. Pour la première fois depuis qu'elle voyageait - longtemps - Tiphaine n'avait pas emprunté la première classe. Non, la deuxième, simple, normale, avec des gens bien moins hautains et froids. C'était l'un des avantages de cette nouvelle vie: la découverte. La jeune femme reprit ses valises. Prévoyant, elle s'était inscrite  l'université deux mois auparavant. L'université de Jersey vit donc arriver la petite Tiphaine durant la nuit et, deux jour plus tard, les cours avaient repris et Tiph' s'était réhabituée au train-train quotidien d'un étudiant sans histoire.

Happy birthday to you, happy birthday to you, happy birthday to you, myself, happy birthday to you ! Naïa, désormais surnommée "Hell" par la plupart des élèves du campus, aurait pu paraître totalement déséquilibrée. Folle. Mais c'était son anniversaire et elle était seule... On est jamais mieux servi que par soi-même, donc, avec un peu de folie, je vous l'accorde, elle se chantait à elle même sa chanson d'anniversaire.