La tête posée contre la vitre du bus, Jason somnolait, ses écouteurs enfoncés dans les oreilles, coupé du monde. Son regard absent avait vaguement conscience du paysage qui défilait. Son dernier examen aurait lieu dans deux jours, et cette épreuve de mathématiques n’était pas son fort. Il était déjà dix-neuf heure, il lui tardait de rentrer au campus et de dévorer quelque chose. Penser aux heures de révisions à venir le basait profondément, heureusement que la fin de l’année était proche, car l’Italien était au bord de l’épuisement.

Jay quitta son siège et descendit à son arrêt, avec la seule envie de rejoindre son lit. Bien qu’il se soit étiré, ses muscles étaient raides et pesants. Sous la douches, l’eau chaude ne l’avait pas tellement détendu. Engagé par le club de boxe le plus fréquenté de la ville, Jay devait prendre en charge les plus jeunes, ce qui n’était pas de tout repos. Mais il devait également s’entretenir lui-même, car il se savait chanceux d’avoir eu ce poste, il se devait donc de rester à la hauteur, aussi montait-il souvent sur le ring face à son supérieur hiérarchique. L’homme l’avait pris en affection, même s’il le démontrait en étant plus dur avec lui. Pour lui, montrer son attachement équivalait à démolir la mâchoire de son jeune poulain pour souligner le fait qu’il venait de baisser sa garde. Jay consulta son téléphone, trois appels manqués de sa mère. Il effaça l’information en soupirant et éteignit son vieux Sony. Comme toujours les rues de Jersey étaient animées, et bientôt quelque chose tomba sur son pieds. Il ramassa une espèce d’étoile en peluche rose toute baveuse. Dégouté, il la porta entre deux doigts, à bout de bras et la rendit à la mère désespérée.

- Je vous remercie, lâcha la femme avant de rendre le jouet à son gamin.

Après un dernier sourire, elle poursuivit sa route, comme tous les habitants pressés de cette ville. Jay entrevit vaguement un paquet de couvertures remuantes qui gazouillait dans la poussette. Ses pensées dévièrent alors vers Coleen, il avait appris qu’elle avait accouché, mais les deux étudiants étaient en froid, et Jay n’avait pas encore eu le temps d’aller la voir. En vérité il s’inventait des excuses, le boulots, les cours, les révisions, les examens. Jay était trop fier pour s’excuser, pour faire le premier pas. Pourtant elle lui manquait, et y penser le mettait de mauvaise humeur. L’image de Maya s’imposa dans son esprit, il l’avait lâchement abandonnée, elle et sa mère. Etait-il prêt à courir après Coleen? Jay n’était pas le genre d’homme à s’attacher aux gens, et ses rapports avec eux étaient assez limités. Têtu, borné, rancunier, boudeur. Il avait bien sur quelques amis, mais il se sentait souvent déconnecté. Il n’aimait pas aller vers les autres, il n’aimait pas quand on lui demandait pourquoi il avait un prénom anglais et un accent italien. Ce foutu passé le rattrapait à chaque fois. Mais comme lui disait sa jeune sœur il devait « faire des efforts, ne pas s’isoler, et aller vers les autres »[i]. Pouvait-il définitivement faire une croix sur Coleen ?{/i] Il se rendit compte à son grand étonnement que la réponse était non. Il fallait croire qu’il devenait sentimental et sociable.

Un quart d’heure plus tard, Jay pénétra dans l’enceinte de l’université. Il se dirigea vers le dortoir des Hadès et lança son sac de sport sur son lit du pas de la porte avant de tourner les talons, direction le dortoir numéro 5. Il était passé au centre commercial pour acheter une boite de chocolat et une peluche représentant un lapin qui faisait de la musique lorsqu’on appuyait sur ses oreilles. Ok, ça n’était pas terrible, mais il se voyait mal arriver les mains vides, il espérait que ça meuble la conversation. Arrivé devant la porte, le Hadès prit une grande inspiration et toqua trois coups à la porte en résistant à l’envie de s’enfuir.

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Jason se sentait parfaitement étranger devant la porte de la jeune femme. Il hésitait à tourner des talons. Après tout, qu'est ce qui lui disait qu'elle avait envie qu'il se pointe? Le Hadès espéra une fraction de seconde que Coleen ne soit pas là, mais elle lui ouvrit bel et bien la porte, l'air visiblement surpris de le voir.

- Euh... Ouais c'est moi.

Minable. Jay passa une main dans ses cheveux, l'air gêné. Il se racla la gorge et quitta la jeune femme du regard pour regarder la petite fille qui remuait doucement dans ses bras. Son esprit remonta dans des temps passés, de plusieurs dizaines d'années, vingt ans peut être? Il devait avoir quatre ans, ou cinq, et Maya venait de naitre. Ses parents l'avaient posée avec précaution dans les bras de son grand frère pour qu'il lui donne son biberon. Jay se revoyait bien droit, concentré et fier d'avoir la mission de nourrir sa petite sœur.

- Comment vas-tu? Enfin allez vous? demanda finalement le Hadès d'une voix qu'il voulait enjouée.

L'italien leva les yeux une fraction de seconde pour regarder au delà de l'épaule de Coleen, un geste incontrôlé traduisant son espoir qu'elle le laisse entrer quelques minutes. Son regard foncé finit sa course sur le bébé d'un mois à peine, qui semblait le regarder. Jay n'y connaissait pas assez pour savoir si oui ou non, à cet âge un enfant pouvait voir clairement et distinguer correctement les formes et visages, mais il lui offrit un sourire. Certes un peu timide, mais tout de même un sourire. C'était un joli bébé, indéniablement. Un bout de chou tout mignon qui décidément ne pouvait pas être au cœur de ce conflit d'adulte.       

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