Une heure, deux heures, trois heures d'avion étaient passées. Winter n'avait pas eu le temps de s'embêter, en compagnie de sa meilleure amie et du camarade de dortoir de celle-ci, il s'amusait comme un petit fou, plaisantant d'abord sur la tête de zombie d'une Zeus apparemment très mal réveillée, puis sur le fait que lui tout comme Maximillian avaient complètement assourdi Serena en lui hurlant leur joie dans les oreilles. Au fond, il ne savait pas comment la jeune femme parvenait à les supporter, neuf heures coincée entre deux guignols pareils ! Mais elle avait beau faire mine d'en avoir assez, elle adorait leurs bêtises et y prenait volontiers part... Ils étaient deux des rares personnes avec lesquelles montrer son côté hyperactif et totalement décalé ne lui faisait pas peur. Après trois heures et demi, il commença à somnoler un peu malgré l'excitation toujours palpable de ses deux amis, et malgré la sienne. Cela faisait déjà deux nuit qu'il n'avait pas fermé l’œil, il passait tout son temps dehors, soit à courir de nuit, soit à nager durant des heures, soit encore à réfléchir aux événements qui l'avaient mis dans cet état. Il s'était mis à agir machinalement, faisant tout sans vraiment y réfléchir, son esprit étant déjà bien trop occupé à tenter de le maintenir debout. La révélation du mariage de Jo l'avait plongé dans une sorte d'apathie et de passivité durant les deux derniers jours. Il n'y a qu'aujourd'hui qu'il retrouvait son état naturel, au contact de deux amis chers qui, sans le savoir, lui remontaient le moral et lui faisaient oublier sa culpabilité et sa déception. Sa grande amertume des derniers jours. Ne trouvant pas le sommeil, il déposa ses écouteurs sur son siège et se leva direction les toilettes. Il salua quelques connaissances à l'aller comme au retour puis, au milieu de l'allée, croisa justement la raison de son état des derniers jours... « Jo. » Plus une sorte de grommellement rauque et un peu inhumain qu'une véritable interpellation. Il n'était pas certain qu'elle comptait encore venir après ce qui c'était passé. Mais au fond, pourquoi se serait-elle privée du Spring Break pour si peu ? Cette simple pensée était égoïste de sa part, il n'était pas une raison pour qu'elle s'abstienne de ce voyage à Miami. Surtout que l'alcool coulerait à flot tous les soirs, et qu'il n'était plus vraiment présent pour lui rappeler qu'il désapprouvait totalement... S'efforçant de cesser d'être aussi pessimiste et amer dans ses réflexions, il chercha du regard une issue à la situation dans laquelle il venait de se mettre, mais dans un avion les possibilités étaient pour ainsi dire vraiment très réduites. Il lui fallait affronter le « problème » et ce même si l'idée semblait mauvaise. Très mauvaise, en fait. Winter ne ferait que remuer le couteau dans la plaie, il n'avait aucun sujet de conversation autre que le mariage -et le divorce sûrement en cours- de Joséphine en tête... Il se mordilla la lèvre encore un moment, puis se décida à faire le premier pas: « Alors hum... Tu es là... Tu es à côté de qui ? » Belles remarques, bien sûr qu'elle était là imbécile ! En quoi cela importait-il les personnes avec lesquelles elle était pour ces encore six heures de vol vers Miami ? Soit il ne les connaissait pas, soit c'était des mecs et il serait vachement jaloux mais ne pourrait absolument rien dire, soit il n'en aurait rien à faire. Bref, cette interrogation idiote ne les avançait en rien, mais il faut dire que c'était la seule chose dont il se voyait parler sans déraper sur un sujet qu'il n'avait pas la moindre envie d'évoquer...

Si cela allait ? Non, pas du tout. Avant de la recroiser dans cette allée, si, à peu près, mais croiser son regard clair réveillait en Winter des souvenirs et l'amertume causée par le mensonge. Il s'apprêta lui aussi à mentir, il ne disait jamais à personne lorsqu'il n'allait pas bien, il ne se plaignait jamais et souffrait en silence. Même si en son fort intérieur c'était le chaos le plus total, il faisait bonne figure. Comme il le faisait toujours. Ne jamais montrer lorsque cela ne va pas, par souci des autres et de l'impact que cela pourrait avoir sur eux plus que pour ne pas montrer ses faiblesses, bien qu'il y ait un peu de cela, il avait sa fierté... « Ouais ouais, ça va... Et toi ? » Quelques turbulences et Winter glissa vers les sièges derrière lui, basculant en arrière à cause de l'accoudoir qui heurta ses jambes. Une seconde secousse envoya Jo vers lui et il la rattrapa avant qu'elle ne se cogne contre la paroi de la carlingue. Par chance, les sièges sur lesquels ils venaient de s'écraser étaient inoccupés. « Tout va bien ? » Après tout, il lui avait de justesse évité de se cogner violemment contre le hublot, elle devait avoir eu au moins un peu peur. En tout cas, son cœur à lui battait la chamade, et il ne savait pas trop si c'était à cause de cet incident ou parce qu'elle était soudainement très proche de lui. « Tu... », commença-t-il sans trop savoir ce qu'il comptait dire. Pour tout avouer il avait très envie de l'embrasser, mais il lui en voulait encore un peu de lui avoir caché le fait qu'elle était mariée. Et puis il ne savait toujours pas si elle était à ce jour divorcée, et il n'avait pas envie de sortir avec une fille qui ne serait pas totalement "à lui" car liée par des papiers, même insignifiants à ses yeux, à un autre homme. C'est l'un des professeurs accompagnateurs qui le décida sur la marche à suivre, s'arrêtant à leur hauteur il s'éclaircit la gorge, ce qui eut pour effet de faire sursauter Winter. « Qu'est-ce que vous faites ? » Se redressant vivement, le jeune homme s'installa sur un siège et Jo sur l'autre. « Je... hum... rien du tout. » Peu convaincu, le professeur s'éloigna en pinçant les lèvres pour éviter de rire. Situation cocasse, pourtant il n'avait pas la moindre envie de rigoler... Le regard rivé sur le sol pour éviter de croiser celui de son interlocutrice, il jouait nerveusement avec ses doigts et son genou droit ne cessait de tressauter contre son gré. « Hum... Et ton... ton mariage ? »

Ce n'était vraiment pas le moment qu'ils se rapprochent de la sorte, la situation était déjà suffisamment compliquée. Et ridicule à la fois, puisqu'il était clair qu'ils s'aimaient mais que Winter, pour une raison qui lui échappait de plus en plus, se refusait à sortir avec elle. Au départ, les choses étaient on ne peut plus claire,s il était blessé et déçu de ne pas avoir été mis dans la confidence. En colère, aussi, qu'elle lui ait ainsi mentit durant des années, en encore plus parce qu'elle n'avait pas jugé bon de l'informer qu’elle était mariée avant qu'ils ne soient ensemble. Elle ne l'aurait jamais fait si son futur ex-mari n'avait pas débarqué sans prévenir. Il aurait voulu l'apprendre de sa bouche, aujourd’hui comment pouvait-il encore lui faire pleinement confiance ? Eh bien il ne le pouvait pas... Il ne le pourrait peut-être plus jamais, qu'est-ce que ce serait la prochaine fois, un enfant caché ? L'arrivée d'un professeur les tira de leur contemplation mutuelle et le jeune homme posa enfin la question qui lui brûlait les lèvres. Le presque lui resta en travers de la gorge, bien qu'il s'y soit attendu... « Bon, bah... Je vais rejoindre Max et... Et Nena, là-bas...  » Cependant, il ne bougea pas. Il avait envie de rester là mais il n'avait pas de véritable sujet de conversation lorsqu'il se trouvait face à elle. Il n'en voyait aucun autre que Samaël et cela avait le don de l'énerver. Il finit par décoller de son siège « Fais bon voyage, Jo... »

C'était un début, mais Winter n'en voyait toujours pas la fin. Quand bien même tout aurait été fini, comment aurait-il réagi ? Comment s'y seraient-ils tout deux pris pour retrouver un semblant de relation normale ? Une fois que la question serait réglée, pourraient-ils tout simplement se remettre ensemble et reprendre les choses là où elles s'étaient arrêtées quelques jours plus tôt sur la plage de Jersey ? Il en doutait sérieusement. Il en doutait et cela le désolait, mais il était déjà trop tard. Sa réaction lui semblait désormais un peu excessive, sachant qu'il l'aimait quand même il aurait dû encaisser le coup. Il avait vu bien pire au cours de son existence, il aurait pu et dû prendre sur lui afin de les préserver tout deux de ce type de soucis. Le parcours mental se déroulant dans son cerveau en ce moment l'aurait fait passer pour un fou. Peut-être l'était-il, qui sait... Il finit par se lever, lentement, imité par Joséphine beaucoup plus vivement. Il avait réussi à l'énerver, étais-ce l'évocation de Serena ou le fait qu'il veuille s'en aller ? si pas un mélange des deux ? Roulant les épaules, Wind ne répondit pas et s'apprêta à tourner les talons. Son contact stoppa son mouvement et il lui jeta un regard par dessus son épaule avant de soupirer légèrement et de lui faire face. A nouveau. « Je suis désolé. J'aimerai que ce soit plus simple, je t'assure... Mais ça n'a rien de simple, pas plus pour moi que pour toi. Tu sais, ça me fait aussi mal qu'à toi. Mais je peux pas. Pas encore. Laisse moi le temps Jo... » Au fond, elle y était contrainte. C'était soit cela, soit tout laisser tomber, oublier leur relation, oublier qu'ils s'aimaient,... Il espérait sincèrement qu'elle n'envisage pas la seconde option. Mais il aurait néanmoins compris, après tout il lui imposait une toute nouvelle distance, il était parti. Il ne pourrait s'en prendre qu'à lui-même si elle préférait lâcher l'affaire.

Winter rejoint son siège sans grand enthousiasme mais au plus vite afin de ne pas être tenté de faire demi-tour, sachant qu'il ne ferait, aujourd’hui, qu’empirer les choses. Plus tard il trouverait un moment pour lui parler, au calme et quand il aurait les idées claires. Pour l'instant, la meilleure solution semblait la fuite. Esquiver le problème. Ils ne parvenaient encore à rien d'autre qu'empirer les choses... Ça viendrait. Il s'assit sans un bruit alors que ses deux camarade s'étaient à moitié endormis. A moitié seulement, de sorte qu'il eut droit à un "ça va, mec ?" de la part de Maximillian auquel il répondit par un vague acquiescement peu crédible mais, étant donné son demi-sommeil, l'Apollon ne releva pas et ferma les yeux. Un peu plus tard, alors que, paupières closes, la tête appuyée contre la paroi de la carlingue et ses écouteurs -musique à fond- enfoncés dans les oreilles, il tentait vainement de penser à autre chose qu'à sa relation avec Joséphine qui tournait au total désastre, ce fut au tour de Serena de lui demander si tout allait bien. Elle lui effleura l'épaule et il pivota doucement vers elle, nul besoin de retirer ses écouteurs pour comprendre ce qu'elle voulait lui dire. Pour toute réponse, il lui adressa un vague "ouais ouais, tout va bien" et, comme elle ne paraissait pas convaincue, lui décocha un sourire auquel elle répondit, se résignant à conserver cette seule réponse.