« Cassez-vous ! » criait-il, encore et toujours plus fort. Nous n’en pouvions plus. Notre seule échappatoire était notre chambre. Tous les soirs, Kyra et moi nous réfugions sous une couverture, même si la peur nous rongeait les entrailles. Notre père était un vrai tyran, et se révolter ne serait-ce qu’une minute contre lui était impossible. Des gifles, j’en avais déjà pris des centaines. Je ne les comptais même plus, tant il pouvait me frapper. Je ne l’ai jamais considéré comme un père à part entière, surtout pour ce qu’il a fait subir à ma petite sœur. Je ne lui pardonnerais jamais.

Kyra est de deux ans ma cadette, et je le considère comme la prunelle de mes yeux. Personne n’a le droit de la toucher, ou de poser un regard trop insistant sur elle. On me reproche souvent d’être trop protecteur envers elle, mais ça m’est égal. Kyra elle-même essaie de me faire comprendre que c’est inutile, mais je ne l’écoute pas. Je n’ai pas réussi à la sauver une première fois, je ne laisserai plus jamais personne lui faire du mal. Quand nous étions enfants, notre horrible père avait presque battu ma sœur à mort. Sous mes yeux. Ma mère pleurait, impuissante. Moi, je serrais mes poings jusqu’à m’en casser les phalanges. Je lui aurais bien craché dessus si j’en avais eu le courage… Mais ce jour-là, j’avais été trop lâche. Kyra hurlait de douleur, et je ne voudrais jamais revivre cette image. A partir de ce dix décembre deux mille, j’ai commencé à vouer une haine incontrôlable envers mon géniteur. Je m’étais promis de lui faire payer cette violence, un jour.

Un soir de l’hiver suivant, j’avais enfin pris mon courage à deux mains. Il était quatre heures du matin, et je n'avais pas fermé l'oeil de la nuit. Le sommeil n'était pas venu, et heureusement. Mon cerveau bouillait depuis des heures, mais j'avais enfin élaboré un plan. Un plan pour m'évader de cette maison, de cette vie. Aucun bruit ne retentissait dans la bâtisse, tout était calme. Pour une fois. A pas de loups, je m'avance vers le lit de Kyra, profondément endormie. « Kyra réveille toi, on s'en va. » Au début, elle ne comprend pas. Mais après de brèves explications, nos affaires sont déjà bouclées. J'espère de tout mon être de ne pas avoir réveillé notre père, sinon, tout tombe à l'eau. Je savais parfaitement que je prenais des risques considérables, mais il nous était impossible de vivre ici ne serait-ce qu'un jour de plus. Nos préparatifs enfin terminés, Kyra et moi sortons de notre maison le plus lentement possible - malgré notre folle envie de quitter cette prison pour toujours. Avant de passer le pas de la porte, un noeud serre mes intestins. J'ai peur, peur pour ma mère. C'est notre seul regret quand nous partons, car ma mère est tout le contraire de mon père. Je me suis toujours demandé comment ils en sont venus à s'aimer, mais désormais, ce n'est plus mon problème. Notre fugue improvisée fut difficile. A notre départ, j'avais pris l'intégralité du porte-monnaie de mes parents. Mais je savais que ça n'allait pas durer éternellement, c'est pourquoi notre escapade se compliqua au fil des semaines.

Nos parents avaient certainement lancé des avis de recherche à cause de notre fugue. Ma mère, je pense. Je suis certain que mon père s'en fichait complètement, et qu'il se sentait débarrassé. C'est étrange, je ressentais exactement la même chose : j'étais soulagé. Mais Kyra et moi avons rencontrés de nombreuses complications, notamment au niveau de l'argent. Je n'avais que dix-sept ans, et appart l'argent que j'avais soutiré à mes parents, nous n'avions rien. Mon objectif premier était de quitter l'Angleterre, et le lieu le plus proche était Jersey. Une petite île où les flics n'auraient même pas l'idée de venir nous rechercher. Ma petite soeur avait réellement envie de se rendre là-bas, c'est pourquoi je n'avais pas hésité une seconde pour fixer notre destination pour l'île aux fleurs.

Nos problèmes d'argent devenaient de pire en pire au fil des jours. Nous ne mangions presque plus rien, notre hygiène commençait à devenir critique.. mais nou tenions le coup. J'avais promis à Kyra un plus bel avenir, une meilleure vie. Je n'allais pas abandonner si près du but. Depuis plusieurs jours, nous campions près du port où un ferry partait pour se rendre à Jersey. Mais il nous manquait encore de l'argent. Je devais prendre une décision, sinon nous allions mourir de faim dans la rue. Un soir, j'avais suivi une femme dans une rue sombre. Rien que l'idée de l'agresser me rendait malade, mais j'y étais contraint. Je ne voulais pas lui faire du mal, juste lui prendre un peu d'argent. Un masque camouflant mon visage, je lui attrape un bras, elle crie, mais je continue. Je n'ai pas le choix, je dois juste lui prendre son argent. Je lui hurle dessus, lui ordonnant de se taire. Après de rapides secondes, je lui soutire tout son argent avant de jeter son sac par terre. Je cours, aussi vite que je le peux, avant de rejoindre ma petite soeur sous un pont. Elle allait bien, c'était l'essentiel. Ce soir-là, nous pouvions enfin réaliser notre rêve : partir.

Le voyage ne dura que quelques heures, nous étions enfin arrivés à destination. Kyra rayonnait de bonheur, et pour tout dire, cela faisait très longtemps que je ne l'avais pas vu aussi heureuse. Nous n'avions que deux valises, un peu d'argent et une immense volonté. Avec toutes les épreuves que nous avions traversé, nous avions le droit à une vraie vie. Peu de temps après notre arrivée, Kyra et moi nous sommes inscrits à l'université de l'île. Heureusement, les frais d'inscription étaient très peu chers, et nous avions la chance d'avoir un toit au dessus de la tête. Depuis combien de temps n'avais-je pas dormi dans un vrai lit ? Au moins trois mois. Cet établissement était notre seconde chance, et j'étais prêt à tout pour garder ma place ici.