Aujourd'hui, tout a changé. Tu es devenue insolente, sauvage et capricieuse. Tu ne calcules plus rien. Tu fonces. Tu te fous dans la merde, parfois ; mais tu n'en as rien à battre. Parce que tu veux te cacher. Cacher celle que tu étais autrefois. Ne pas pleurer. Avancer. Tel est ton but. Enfin, tu n'en as pas, de but, toi: tu suis tes propres envies. Ce n'est pas que quelque chose te manque, que tu as tué quelqu'un, ni rien. Tu as volé. Si tu n'avais pas volé, tu ne serais pas ici. Et si tu n'étais pas ici, tu ne te jouerais pas une deuxième identité pour plaire. Tu serais naturelle. Mais non, tu es ici. À Jersey.

Avant.
Avant tu avais des parents et une grande-sœur qui t'aimait. Tous t'aimaient, en fait. Tu les aimais moins de ton côté, parce que tu n'étais pas du genre relationnelle – aujourd'hui, tu t'éparpilles – et que c'était tes vieux, quoi. Ta grande-sœur, elle te surprotégeait alors que tu n'en avais pas besoin.
Tu avais seize ans, à l'époque. C'était après le collège, et tu avais commencé à être attirée par les filles. Ce n'était pas méchant, je dois dire. Pour toi, ça ne l'était pas. Seulement, tes parents ne l'ont pas jugé de la même manière. Tes parents, ils t'ont pourrie quand tu as ramené ta première conquête à la maison. Ils sont même parvenus à la faire fuir, ces cons. Tu aimais les filles, c'était ton problème. Pourtant, ils ne comprenaient pas ça, ils ne l'acceptaient pas. Tu avais été élevée dans l'idée que l'homosexualité et la bisexualité étaient abomination. Et là, tu te pliais à cette idée. Forcément, tes parents ne toléraient pas. Tu t'échappais souvent de la maison, ceci devenait presque une habitude pour eux. Tu t'évadais, pour souffler, respirer. En effet, depuis que ta gazelle avait débarqué, ils t'avaient privée de tas de choses. Tellement de choses, que tu n'avais quasiment plus de vie. Alors ils te laissaient t'échapper.
Un jour, ils t'ont chopée, t'ont fait croire qu'ils t'emmenaient chez la grand-mère – tu l'adorais –, mais au lieu de ça, ils t'ont traînée chez le psy. Franchement, à quoi cela servait ? Tu ne lui as rien dit, à ce psy(chopathe). Tu lui as pointé ton majeur, et tu es sortie. Ça lui a cloué le bec. Puis tes parents, qui t'attendaient dehors, tu les as retrouvés, toute sourire, avec la mine de celle qui a subi un lavage de cerveau, et qui est redevenue comme ils voulaient. Ahah, petite comédienne que tu es. Tu as joué le jeu pendant plusieurs semaines, ils t'avaient pardonnée ; le temps de récolter de l'argent un peu partout, en vendant discrètement tes bijoux, objets sans valeurs, et diverses bricoles. Et en volant dans les deux portes-monnaie de tes parents, mais en plusieurs fois, pour ne pas que ça se remarque.
Un jour, c'est ta mère qui t'a chopée: tu étais en train de fouiller dans son sac. Tu n'avais pas encore mis la main sur son portefeuille qu'elle avait compris. Elle t'en a mis une, une belle. Limite si tu as encore la douleur qui rejaillit sur ta joue rougie par cette grosse tarte qu'elle t'avait administrée. Tu lui as retourné la même, tu as pris le porte monnaie, tu as couru jusqu'à ta chambre pour prendre le tien – qui était convenablement bourré de fortune – et ton plus gros sac déjà tout fait, bien bourré aussi, et tu as recouru pour sortir de la maison, claquant la porte sur ton passage. Tu as couru, recouru jusqu'à l'arrêt de bus. Bientôt, le véhicule te mènerait à l'aéroport le plus proche du coin. Aéroport terminus, tout le monde descend. Tu as pris le premier billet pour Jersey – ta tante y vivait, elle avait totalement rompu le contact avec tes parents, avec lesquels elle avait eu un grand froid auquel tu n'avais jamais connu la raison ; tu savais qu'elle ne t'emmerderait pas, tu l'adorais, elle te logerait, elle était riche – en prenant soin, avant le départ, de désactiver toute trace de géo-localisation sur toi. Ça te faisait une sacrée journée, ou deux peut-être, tu avais trop la haine pour compter. De toute façon, il n'était pas la peine de compter: tu t'en foutais. Tu voulais juste quitter tes cons de parents. Rosie t'a accueillie comme une reine, plan ok, elle n'a pas balancé, t'a logée, a financé tes études au camp et les finance encore. Tu la vois souvent, vous êtes comme mère et fille, sauf qu'elle est presque aussi jeune que toi et pour ça, c'est juste une grande confidente. Ton ange gardien.

Aujourd'hui.
Aujourd'hui, tu es heureuse. Enfin, tu l'étais. Non, tu ES heureuse. Tu fais peut-être semblant, je n'en sais rien, à toi de prouver que tu es une fille bien maintenant. Je sais que tu ne redeviendras pas celle d'avant, parce que c'est trop demandé. L'enfant sage, sérieuse et enthousiaste. Avant.
Tu enchaînes les conquêtes, squattes pas mal de lits, et voilà, tu vis ta vie comme ça te chante. C'est toi la gazelle, aujourd'hui. Enivrante, effrontée, désinvolte, fêtarde, charmeuse, colérique, insolente, sauvage, capricieuse. Telle est l'image que tu donnes aux autres de ta personne.
Peut-être que quelqu'un t'épanouira, peut-être que tu lui raconteras tout, peut-être que tu seras naturelle avec lui – ou elle, justement –, ou peut-être que tu resteras seule toute ta vie, à cavaler ce qui te plaît. Les filles t'attirent toujours autant, mais te caser avec un homme ne te déplairait pas, aujourd'hui. Bref, tu n'es tout de même pas malheureuse, au fond. Tu n'es pas du genre à te morfondre sur les faits passés, j'exagère sûrement.
Et puis merde. Si tes parents tenaient réellement à toi, ils t'auraient déjà retrouvée, ou ils te chercheraient, appelleraient la famille. Et si ils ne t'ont pas acceptée, tu les emmerdes aujourd'hui. Tu es bi et tu assumes complètement. Tues libre. Tu es Louise, et tu ne regrettes rien, au final. Personne n'est mort, personne ne s'inquiète. Il n'y pas à reculer. Enfin, pas vraiment moyen de reculer maintenant, me diras-tu. Si tu es obligée de crever là, tu crèveras là.