you know my name, not my story.
Lights will guide you home
Avril 1998 - Stockholm
Assis contre le mur, au coin du salon, le petit garçon avait les jambes repliées sur lui-même. Ses cheveux blonds étaient sales, de même que les vêtements qu'il portait depuis quatre jours maintenant. Il la regardait avec une expression indéchiffrable. De l'incompréhension, de la fatigue, de la tristesse ; c'est tout ce que l'on pouvait lire à travers le regard de cet enfant de sept ans. Elle était là, en face de lui, allongée sur le canapé. Elle en avait même oublié l'existence de ce garçon, tant elle était sous l'emprise de la drogue et de l'alcool. Ses cheveux étaient sales également. Elle ne portait qu'un simple tee-shirt froissé et une culotte. Son regard croisa pendant un instant celui du petit garçon, mais celui-ci savait bien que même si elle se trouvait là physiquement, elle était bien loin dans sa tête. Et c'était comme ça tous les jours. Il n'était pas comme tous les enfants de son âge ; d'ailleurs ça faisait maintenant plus de deux années qu'il n'était plus allé à l'école. La porte de l'appartement s'ouvrit tout d'un coup. Il était là. L'enfant surpris se retourna rapidement. Dans ses yeux bleus, l'incompréhension, la fatigue et la tristesse laissèrent la place à la peur. Quittant son coin, il se glissa rapidement sous la table de la cuisine. Il se cachait du mac. Celui-ci s'arrêta près du fauteuil ou se trouver la jeune femme, défoncée à la drogue.
« Mais qu'est ce que t'as encore foutu ? Sale pute ! Bonne à rien. » Elle ne répondit rien, ce qui n'était pas surprenant vu son état. Le mac ne se fatigua pas et s'avança doucement vers la cuisine.
« Et toi où est-ce que tu te trouves petit morveux ? Tu sais bien que je n'aime pas jouer à cache-cache. Surtout après une mauvaise journée. » Le cœur du petit garçon battait à toute allure. Il redoutait ce qu'il allait lui arriver. Quelle punition allait-il encore devoir subir ? Soudain le visage du mac apparut devant lui et se tordît en un horrible sourire. Il attrapa le garçon par le col de la chemise et le tira violemment pour le sortir de sa cachette. Il l'immobilisa ensuite en face de lui, le toisant du regard. Le petit garçon tétanisé, le fixait sans pouvoir sortir un seul mot. La fumée de la cigarette du mac, commençait à lui piquer les yeux. L'homme le regarda un long moment avant de lui retirer sa chemise. Le garçon ne savait pas ce qui se passait mais il était sur ses gardes. C'était toujours comme ça avec le mac. Il le punissait toujours. Une fois que sa chemise se retrouva par terre, le regard du mac commença à valser entre l'enfant et la cigarette. Un sourire méchant se dessina finalement sur ses lèvres.
« On va jouer un peu. » Tout se passa très vite ensuite entre le moment ou le mégot s'écrasa contre peau du jeune garçon et celui où les appels réitérés à l'intention de sa mère ne trouvèrent aucun écho ; cette mère qui avait toujours été le témoin impassible des punitions infligées à son enfant.
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Assis devant la jeune femme blonde, le petit garçon ne cessait de lui caresser délicatement les cheveux. Elle avait les yeux fermés. Elle dormait, depuis longtemps, depuis bien trop longtemps même. Il toucha doucement son visage. Il était froid, très froid. Le jeune enfant ne savait pas quoi faire. Il était seul dans cet appartement avec sa mère qui dormait depuis bientôt deux jours. Il avait froid et la faim lui tenaillait le ventre.
« Maman j'ai faim. » Sa voix était presque inaudible. Elle ne l'entendait pas. Il se leva donc doucement et retourna s’asseoir dans son coin espérant que les cris incessants de son estomac cessent.
C'est seulement deux jours plus tard que la police arriva dans l'appartement pour trouver les deux corps : celui d'une mère tuée par overdose et celui d'un enfant, presque mort de faim.
It's so empty living behind these castle walls
Juin 1998 - Stockholm
« Tu peux me parler Nathan. Je ne vais pas te faire de mal. » Il la regardait sans un mot. La jeune femme poussa un énième soupir. Ça faisait deux mois qu'elle essayait de faire parler le jeune Nathan, mais celui-ci semblait être bien enfermé dans son mutisme. Il n'avait parlé à personne depuis ce jour où sa mère était morte sous ses yeux, dans leur appartement miteux. Il était à la fois triste, traumatisé et perdu. Il n'avait pas eu une enfance très facile jusqu'ici et il avait fini par perdre la seule personne qu'il lui restait, sa mère. Lorsque les policiers les avaient retrouvés dans l'appartement, Nathan était plus faible que jamais. Il n'avait jamais eu aussi faim de toute sa vie. Il avait fallu un bon mois pour le remettre d'aplomb. Rose savait qu'il lui fallait du temps, pour panser ses blessures aussi bien physiques que mentales. Assis sur son lit d'hôpital, il regarda quelques secondes par la fenêtre avant de reporter son attention sur la jeune infirmière devant lui. Rose se pencha légèrement en avant et le regarda dans les yeux.
« Je sais que tu me comprends Nathan. Sache que tu es en sécurité ici, avec moi. Fais-moi confiance. » Cette dame, il la connaissait bien. Durant ces deux derniers mois, il n'y avait pas un jour où il ne la voyait pas et elle s'occupait bien de lui. Il l'aimait bien parce qu'elle était gentille. Personne ne lui faisait de mal lorsqu'il était avec elle et surtout, il n'avait jamais faim.
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Août 1998 - Stockholm
Obnubilé par le dessin animé qui passait à la télé, Nathan n'avait pas remarqué que Rose était venue s'assoir près de lui. Elle l'observait depuis un moment. Il tourna doucement la tête et lui adressa un sourire timide. Le jeune garçon avait quitté l'hôpital quelques semaines plus tôt après avoir retrouvé ses forces. Il vivait pour le moment avec Rose que tout le monde appelait Mrs. Dwight à l'hôpital. Ça la vieillissait un peu mais pourtant elle était assez jeune. Rose était d'origine anglaise, elle avait vingt sept ans et habitait Stockholm depuis trois ans. Elle était infirmière et voyageait beaucoup pour s'occuper des enfants qui se trouvaient dans la même situation que Nathan. Son mari, Gail Howard, était resté à Londres. Chaque soir, Nathan l'observait alors qu'elle passait des heures au téléphone, à parler avec son homme. Et malgré son amour inconditionnel pour les enfants, Rose n'avait jamais pu en avoir. Elle n'avait également jamais songé à l'adoption jusqu'aujourd'hui, jusqu'à Nathan. Une fois que le dessin animé prit fin, Rose éteignit la télévision et s'assit en face du jeune garçon pour le regarder dans les yeux.
« J'aimerais vraiment que tu m'écoutes attentivement Nathan. Tu veux bien ? » Bien entendu, elle n'attendait pas de réponse. Comme d'habitude, Nathan se contentait simplement de la regarder fixement.
« Tu sais, chaque soir avant de me coucher, je discute beaucoup avec un monsieur au téléphone. Il s'agit de mon mari ... Et ces derniers jours, nous avons beaucoup parlé de toi. » Elle s'arrêta un instant, essayant de déceler un quelconque début de réaction venant du garçon, mais en vain. Elle lui prit alors les mains et les serra délicatement, dans les siennes.
« Je n'ai jamais eu d'enfant Nathan. Je ne peux pas en avoir. Mais ça n'est pas grave car c'est de toi que je veux m'occuper à présent. Mon mari est moi serions ravis de t'accueillir chez nous. » Rose ne le faisait pas par acte de pur charité ou par pitié. Elle le faisait parce qu'elle en avait envie. Elle aimait beaucoup ce petit garçon blond aux yeux bleus, aux airs d'ange et qui pourtant avait beaucoup souffert du peu qu'il avait vécu. Dans quelques semaines elle allait rentrer en Angleterre et la dernière chose dont elle avait envie était de le laisser ici, seul et une fois de plus livré à lui-même.
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Avril 2000 - Londres
« Monsieur Howard, je vous prie d'arrêter de courir partout. Vous allez finir par salir toute la maison. Votre mère ne va certainement pas apprécier. » Qu'est ce qu'elle en savait ? C'est la question que se posait Nathan. Rose lui permettait de faire ce qu'il voulait, elle ne lui refusait rien. Gail lui disait souvent qu'elle était un peu gâteuse sur les bords, ce qui était totalement vrai. Bref, le jeune Nathan, les mains et les pieds pleins de boue, jetait un regard de défi à sa "nounou" on va dire. Il aimait bien la faire tourner en bourrique ; c'était amusant de voir sa tête se décomposer à chaque bêtise qu'elle découvrait. Depuis qu'il était à Londres, Nathan s'était un peu plus épanoui. Ici, il avait tout ce qu'il voulait et ne manquait de rien. En fait ses parents adoptifs étaient comme qui dirait assez riches. Le changement avec son ancien milieu avait été radical certes, mais il s'y était habitué très rapidement. En guise de réponse à la domestique, Nathan fit non de la tête avec un peut sourire goguenard. Bien évidemment, il ne s'était toujours pas décidé à parler. Il voyait régulièrement un psychologue mais rien n'y faisait. La jeune femme en face de lui, outrée par son attitude, fronça les sourcils.
« Puisque c'est comme ça, eh bien je me sens obligée d'employer la manière forte. » Dix secondes plus tard, Nathan était déjà parti. Il avait détalé sachant pertinemment qu'elle allait le poursuivre jusqu'à l'attraper. Il arriva au salon maintenant prêt à sortir lorsque la porte s'ouvrit devant lui. Il s'arrêta brusquement et tomba en avant, mais sans se blesser.
« Mon Dieu Nathan, fais donc attention. Tu risques de te faire mal. » Rose était debout devant lui et le regardait, apeurée. Gail le regarda un moment de haut en bas, avant de rire.
« À neuf ans tu joues encore dans la boue... Dis, tu m'écoutes ? » En fait, Nathan ne l'écoutait pas vraiment. Il en avait même oublié sa course poursuite avec sa nounou. Son attention était portée sur autre chose. Ses yeux étaient rivés sur elle ; une petite fille aux boucles blondes et aux yeux bleus, qui le regardait d'un air innocent. Nathan pencha légèrement la tête sur le côté pour mieux la voir ; elle se cacha un peu plus derrière Gail. Ce dernier et Rose se regardèrent un court instant avant de sourire. Depuis quelques jours maintenant, ils s'étaient souvent absentés et cette petite fille en était la raison. En effet, elle avait été récupérée par les services sociaux, d'une situation similaire à celle de Nathan. Gail et Rose avait donc eu la même idée qu'avec leur fils adoptif.
« Nathan, voici Leann ... ta sœur. » Sur le coup, le jeune garçon la regarda, incrédule. Il pensait avoir mal entendu. Mais petit à petit, son regard s'illumina. Il regarda une fois de plus la nouvelle arrivante et sourit.
« Leann... » Le premier mot, en deux années.
You give love a bad name
Juillet 2012- Londres
« Maman je ... Mais oui ça va très bien. Je n'ai pas pris la route parce qu'il faisait tard et ça n'était pas prudent. Je rentrerais d'ici quelques heures, ne t'inquiète pas. » Nathan raccrocha en soupirant profondément. Sa mère s'inquiétait toujours pour rien ; Rose était une éternelle anxieuse. Il avait intérêt à rentrer très vite s'il ne voulait pas passer un mauvais quart d'heure. Debout face à la fenêtre depuis quelques minutes, il se retourna doucement lorsqu'il entendit un bruit. Sur le lit, se trouvait une jeune femme qui émergeait doucement d'un profond sommeil. Lorsqu'elle ouvrit les yeux, ceux-ci croisèrent ceux du jeune homme qui lui adressa un regard froid et sans expression particulière. C'était sa façon à lui de poser ses limites. Il ne la connaissait pas et ne voulait d'ailleurs pas la connaître. Il avait juste eu besoin de se distraire et maintenant que c'était fait, il préférait qu'elle s'en aille. Nathan ramassa patiemment les affaires de la jeune femme puis les lui tendit. Elle le regarda, surprise.
« Il serait peut-être temps que tu partes. » Elle poussa un soupira et se redressa sans même prendre les affaires qu'il lui tendait. Elle ne comprenait pas l'attitude de Nathan, mais malheureusement pour elle, il n'y avait rien à comprendre du tout. Il était comme ça, tout simplement.
« C'est tout ? On a passé un bon moment hier et maintenant tu agis comme ça. À quoi tu joues ? » Le jeune homme fronça légèrement les sourcils et pencha doucement la tête sur le côté, une habitude qu'il avait. Il ne savait pas quoi répondre à cette fille. Il n'avait pas envie de s'expliquer ; il n'avait de compte à rendre à personne.
« Je ne joue pas. Je ne suis pas le genre de garçon qui rappelle le lendemain. Fais moi confiance, ça t'évitera de te faire du mal pour rien. » Les hommes n'étaient pas si compliqués que ça. On passait des heures à décortiquer leurs paroles, alors qu'ils se contentaient de dire ce qu'ils pensaient. Nathan était un homme et il parlait franchement, sans détour. Avec les femmes, il ne s'engageait jamais. Non pas qu'il voulait s'éviter des complications, mais parce qu'il n’avait pas une très grande considération pour elles. C'était un point sur lequel son psychologue essayait de le changer mais en vain. Nathan lui disait souvent :
« Elles me font toutes penser à la pute shootée à la drogue. » Oui, elles lui rappelaient sa mère biologique.