ADRIAN ⊱ « Nous l’appellerons Adrian. » déclara l'une des cinq jeunes femmes penchées sur le bébé. Deux autres apparurent dans l'encadrement de la porte, essoufflées, et déballèrent une longue tirade en italien. C'est le moment que l'enfant, désormais nommé Adrian, choisi pour se réveiller. Et pleurer. L'une des femmes le saisit naturellement, le berçant tout en chantonnant pour le calmer, avant de disparaître avec lui tandis que les autres s'activaient à faire disparaître les "preuves". Lorsque la mère supérieure fit son entrée, personne n'aurait pu savoir qu'il y avait eu un bébé dans cette pièce. Vous l'aurez compris, l'enfant avait été abandonné par ses parents pour une raison inconnue, manque d'argent, de temps, de père,... Peu importait, au fond, et il ne saurait jamais. Les nonnes l'avaient recueilli en secret, le cachant à la mère supérieure qui aurait sitôt fait de le placer en orphelinat. Durant les premières années, il fut difficile de le cacher, et difficile de s'en occuper, de le nourrir, de le garder alors qu'elles devaient se rassembler pour la prière,... Mais tout est possible lorsqu'on le veut vraiment, et le fait est que ces religieuses tenaient à lui comme à la prunelle de leurs yeux. Il était la petite étincelle de joie dans leur vie faite de prières, leur "distraction", leur fils à toutes. L'une d'elles tenaient plus à lui encore: celle qui l'avait trouvé, la première à l'avoir bercé pour l'endormir,... A ses yeux, c'était elle, sa mère. C'est pourquoi il prit son nom: Cataldi. Pour lui, c'était une vie parfaite. Devoir se cacher était devenu une sorte de jeu. Ne pas aller à l'école mais étudier avec sa "mère" l'emplissait de joie, et le sourire qu'elle affichait lorsqu'il réussissait les exercices qu'elle lui proposait lui donnait plus encore envie de se dépasser. Et il prenait très u sérieux les prières qu'elle lui faisait répéter. Il ne tarda pas à porter, constamment, une croix en pendentif. A partir de ses sept ans, il fut admis à l'école, sortant et entrant dans le couvent par la fenêtre de la chambre de sa mère adoptive. Très intelligent, voir surdoué, il était du groupe restreint de ceux qui aiment l'école. Le petit élève modèle. Adolescent, il commença à se détacher de ses sauveuses, faisant une brève crise d'adolescence, se cherchant encore... Et, lors que tous pensaient que cette phase lui était passée, qu'il s'était trouvé un chemin dans la religion, qu'il allait passer prêtre ou quelque chose du genre, il choisit une toute autre voie: militaire. Du jour au lendemain, il l'annonça à sa jeune mère son désir. Cette révélation eut l'effet d'une bombe, mais son choix était fait, en dépit de tous les arguments qu’elle avança pour l'en dissuader.

« Sergent Cataldi ? » Levant les yeux, l'interpellé croisa le regard d'une jeune infirmière. Elle le fixait d'un air un peu inquiet, alors qu'il n'était pas le moins du monde ébranlé par le fait qu'il pissait le sang depuis près de cinq minutes. « Kendra, c'est ça ? Et vous pouvez m'appeler Adrian. » Les mains de la jeune femme tremblaient alors qu'elle préparait de quoi le recoudre. Elle acquiesça, et il lui décocha un sourire pour la rassurer. Dans l'heure, il quitta l'infirmerie, reprit son arme et direction la bataille. Rien ne l'arrêtait jamais... Quelques jours plus tard, une nouvelle blessure le renvoya auprès de Kendra, et il resta quelques temps en repos. Vous imaginez la suite, ils tombèrent amoureux. Ils n'y étaient pas vraiment autorisés, mais essayez un peu de dicter à des personnes réellement amoureuses ce qu'elle doivent faire ! Ils se voyaient le plus souvent possible, jusqu'à ce que l'université de Kendra ne décide de la rapatrier, jugeant que tout cela devenait trop dangereux. Bien que ce soit un véritable déchirement, Adrian ne pouvait qu'approuver, pour son bien. Il reçut de nombreuses lettres, et il se fit toujours le plus rassurant possible dans ses réponses. Il n'était pourtant pas prêt à quitter l'armée, il lui semblait y avoir trouver une raison d'exister, d'avancer. Il ne savait pas ce qu'il ferait s'il rentrait. Certes, il serait avec Kendra, mais après ? Il ne se voyait pas père de famille, ne s'imaginait pas dans un autre métier, et surtout il n'aurait pas su revenir à la normale après tout ce qu'il avait vu en Syrie.

« ADRIAN ! ADRIAN ! » L'esprit embrumé, se sentant perdre pied, disparaître, mourir, le jeune homme ne pensait à rien. Ses dernières lettres à Kendra dataient, il avait pas mal changé en deux ans... Psychologiquement c'était le chaos total. Et, maintenant, physiquement également. Il ne sentait plus sa jambe droite, et son gilet pare-balle n'avait que trop servi pour aujourd'hui. Ses côtes devaient être cassées. « Adrian, reste avec moi ! » Son regard cherchant celui de l'homme qui lui parlait, il finit par s'évanouir. A son réveil, il était sur un héliport, allongé sur un brancard. « Non ! Non, j'veux pas rentrer ! Je refuse d'y aller ! » Se débattant comme un fou, il parvint seulement à faire ressaigner sa jambe. Deux hommes le maîtrisèrent en le tenant fermement par les épaules. On en lui demanda qu'une chose avant de lui administrer un sédatif: quel hôpital il voulait rejoindre. Étrangement, c'est ce moment qu'un lointain souvenir choisi pour réapparaître. Sans réfléchir, il répondit Jersey, et s'endormit. Jersey, là où était Kendra...