KILIAN ⊱ 7h, mon réveil sonne. Il est déjà l’heure pour moi de me lever. Mais avec seulement 3h de sommeil dans mes veines, je ne sais pas si j’en ai réellement la force et le courage. Sauf que je sais très bien que si je ne me lève pas, Sean et Noreen vont s’en occuper pour moi. Eux, c’est mon frère et ma sœur, et pourquoi ils me réveilleraient moi, plus que quelqu’un d’autre ? Tout simplement, parce que je suis l’unique famille qu’il leur reste. C’est bizarre, pas tant que ça en fait, mais laissez-moi vous raconter mon histoire.

Tout d’abord, commençons par le début, je m’appelle Kilian Mathis Cleary, j’ai vu le jour, le 24 décembre 1991 à Drogheda, une petite ville à 50 kms au nord de Dublin en Irlande. L’Irlande, ma terre natale, elle me manque des fois, maintenant que je suis à Jersey, ce n’est pas du tout pareil. Ça ne s’explique pas.
Le fait est que j’ai vu le jour là-bas, j’ai eu une enfance plutôt heureuse je me suis toujours très bien entendu avec Casey, mon grand frère, il a 3 ans de plus que moi. Mais Casey n’est que mon frère et l’homme de la maison, notre père était souvent absent et il me manquait cruellement. Je ne comprenais pas pourquoi. Il avait un travail avec des heures, normales, il était comptable dans une assez grosse boite mais, rien de très alarmant et pourtant j’avais l’impression de ne vivre qu’avec ma mère et mon grand-frère. En tout cas, je n’ai manqué de rien, ma mère était très présente pour moi. Elle était toujours là quand j’avais besoin d’elle. Elle était toujours là pour ses 2 garçons de toute façon. Il me manquait juste mon père. Ma mère était présente et pour cause, mon père avait déjà un bon salaire qui nous permettait de vivre notre petite vie tranquille. Du coup, le salaire de ma mère était juste un complément. Elle était vendeuse dans une boutique de souvenirs.
Ma vie était simple, ma vie était belle et elle était bien, j’étais content de ce que je vivais. Puis un jour, j’avais 12 ans, mon père est entré à l’appartement, et il nous a annoncé le plus naturellement du monde qu’on partait à Jersey. On était pas du tout préparé à ça. Puis Jersey c’est pas une opportunité qui l’a envoyé là bas. C’est une planque plus qu’autre chose. Si seulement j’avais su. Si seulement j’avais su qu’à cet instant précis on partait pour l’enfer.
Donc du coup, en l’espace de 2 semaines toutes nos valises avaient été bouclées, ma mère avait quitté son petit poste tranquille. Mon frère avait fait ses adieu à ses amis et j’avais fais l’adieu aux miens, ca avait été dur.
Les débuts à Jersey ont eté assez compliqué. Casey et moi on s’ennuyaient ferme. Mais notre père était bien plus présent, du coup, on vivait à nouveau comme une vraie famille, ca c’était bien, réeellement. Ma mère a retrouvé assez rapidement un petit travail. Mon père étant bien plus présent, ça s’est ressenti, et rapidement, ma mère est tombée enceinte. Cet enfant faisait le bonheur de tout le monde dans la maison. Mes parents avaient toujours voulu un garçon et une fille, donc à l’aube de mes 13 ans, c’est Sean qui est venu rejoindre la famille. Au début, tout se passait bien, mais petit à petit notre père s’éloignait de nouveau un peu. Mais beaucoup moins qu’en Irlande. D’ailleurs 4 ans plus tard, ma mère était de nouveau enceinte et 9 mois plus tard c’est Noreen qui a agrandi la famille, une fille, le comble du bonheur pour mes parents. On a vécu pendant 1 an ce bonheur intense. Mais après ça, ça a été la descente aux enfers, et je crois qu’encore aujourd’hui, je suis dans les bas-fonds de l’enfer et je ne pense pas que je me m’en remettrai un jour.
Un an après la naissance de Noreen, un évènement est venu bouleverser la vie de la famille, notre père est mort dans un accident de voiture. L’enquête s’est arrêté là, défaut mécanique, fin de l’histoire. Pourtant moi je n’y ai jamais cru, Casey non plus d’ailleurs, parce que certes mon père ne devait pas être un saint, mais sa voiture, il la bichonnait. Casey était lui aussi passionné de mécanique automobile, je ne compte plus les heures qu’ils ont passés à bichonner la voiture familiale. Ils contrôlaient très souvent que tout aille bien, alors le défaut mécanique j’ai du mal à y croire, mais enfin passons. Il y a un autre gros détail qui nous sème le doute. C’est que très peu de temps après cet accident, des gens sont venus sonner chez nous. Des gens qui me semblaient totalement inconnus. Pourtant eux semblaient très bien nous connaitre, ma mère, Casey et moi, les petits un peu moins.
Ces gens-là c’était le début de la fin, en fait, notre cher père que je prenais pour une personne honnête et droite était en réalité un accro aux jeux d’argent. Il a accumulé des dettes astronomiques. Je ne sais même pas comment il a fait pour accumuler autant de dettes, mais le fait est que maintenant ces gens, qui sont en fait les personnes à qui il devait de l’argent en Irlande et qu’il a tenté de fuir très vite, veulent récupérer ce que notre père leur devait. Sauf que le salaire de ma mère était loin d’être suffisant. Il nous fallait à tout prix trouver une solution.
D’ailleurs ma mère elle n’a pas supporté d’apprendre ça, elle a sombré peu à peu dans la dépression et il nous a fallu à Casey et moi, apprendre à nous débrouiller. Il n’y avait que le salaire de ma mère et honnêtement sur la balance ça pesait rien du tout.. Du coup, j’ai trouvé un boulot de barman dans un bar en ville. Casey s’est trouvé un job de mécanicien automobile. C’était pas si bien payé que ça, mais ça faisait 3 petits salaires à la maison et on arrivait à survivre. On a survécu, encore 6 mois comme ça. Mais c’est ma mère qui a coulé, littéralement.  Casey et moi, contre l’avis de la plupart des personnes interrogées, on a pris la décision de la faire interner dans un hôpital psychiatrique. D’ailleurs elle n’a pas tenu très longtemps. Elle s’est senti abandonné et un mois plus tard, l’hôpital m’appelait pour me dire qu’ils l’avaient retrouvé morte, elle s’était étranglée avec une ceinture. Encore un autre coup dur pour nous. Qu’est ce qu’on allait faire ? Qu’est ce qu’on allait devenir ?  Il nous  fallait rester fort et uni. Il ne fallait pas regarder en arrière, non. Je pouvais compter sur Casey, je le savais bien et puis on avait Sean et Noreen à s’occuper. Mais très vite les soucis d’argent sont revenu. Il faut dire qu’il n’y avait de nouveau que 2 salaires à la maison et c’était pas suffisant. Les comptes étaient dans le rouge en permanence, il faut dire que mon petit salaire de barman et le petit salaire de mécanicien de Casey ne faisaient pas le poids. J’ai demandé à mon chef de pouvoir bosser plus, mais il ne pouvait pas me donner plus de boulot. J’avais besoin de plus, j’étais presque désespéré et il a eu une idée. Je lui avais déjà parlé de ma sexualité, parce que depuis déjà longtemps, je me sens plus attiré par les garçons que par les filles. Le responsable de mon bar m’a fait passer dans la seconde zone du bar, j’y étais jamais allé, les 2 zones communiquaient par une porte à laquelle j’avais jamais réellement fait attention. Par contre il y avait bien 2 entrées distinctes pour les clients. Et là je me suis retrouvé en plein monde de la nuit, monde gay aussi. En fait, je bossais sans le savoir dans un bar avec une annexe club de strip gay. Mon chef m’a proposé de travailler au bar et dans l’annexe. Sur l’instant, j’ai refusé directement, non j’étais trop pudique pour me déshabiller devant un groupe de gay qui pourrait fantasmer sur mon corps. Non c’était trop demandé. D’accord je faisais du sport, mais non impossible de me lancer dans du strip, je ne jouerai pas à ce jeu-là.
Mais malheureusement, les dettes ont commencé à s’accumuler, alors au début c’était un soir par ci par là. Toujours un vêtement sur moi, pour que les mecs puissent glisser les billets, mes petits extras. Petit à petit j’ai appris à jouer avec cette barre, du coup les pourboires augmentaient un peu. Mais c’était rarement assez.
Un autre incident est venu à nouveau compliqué ma vie. Je suis rentré un soir, et il y avait les pompiers à l’appartement. Casey s’est fait tabassé mais vraiment violemment, je suis le seul à l’avoir vu et je ne l’ai même pas reconnu. J’ai protégé Sean et Noreen de ca. Il a été emmené d’urgences à l’hopital, mais les docteurs n’étaient pas très optimistes. Ils pensent toujours qu’il ne se réveillera jamais. J’ai toujours l’espoir moi de le voir se reveiller un jour. Mais les docteurs m’ont déjà proposé de le débrancher. J’ai toujours refusé, j’ai de l’espoir. Je ne sais pas où mais j’ai de l’espoir. D’ailleurs j’ai reçu une lettre de nos amis irlandais c’est eux qui ont fait ça à Casey parce qu’il a eu le malheur de vouloir se rebeller. C’est une sorte d’avertissement pour moi.
Du coup, j’ai été obligé de déménagé dans un minuscule studio que mon salaire réglait à peine parce que il y avait les irlandais à payer en priorité absolu. Du coup le strip tease ne rapportait même plus assez, et de loin. J’ai demandé de l’aide à mon patron. J’ai plongé un peu plus dans l’enfer.
Mon patron m’a évoqué par la suite les shows privés. Là je ne gagne rien en tant que tel dans la salle avec le mec, mais il paye à l’entrée et je reçois un pourcentage de ce qu’il a payé. J’ai eu peur la toute première fois, mais on s’y habitue vite. Ce n’est pas trop différent que de danser dans la salle. C’est juste que là on est juste face, le plus souvent à une seule personne. Ce n’est pas la même ambiance c’est sûr mais c’est la même chose plus ou moins. C’est même devenu rapidement une affaire qui marchait, sauf que les mecs commençaient à me toucher. Je ne voulais pas aller plus loin. Non je ne voulais pas plus, juste faire un strip intégral à la rigueur mais pas plus. Je n’aimais pas sentir des mains étrangères sur mon corps. Je n’aimais pas ça du tout. Du coup, pour oublier ça, mon patron a commencé à me donner des petits sachets de poudre blanche. La première prise, je n’ai plus aucun souvenir de la soirée. C’était l’euphorie la plus totale, je ne sais pas ce qu’il s’est passé, mais je pense que j’ai été plus loin que les shows privés vu les douleurs que j’avais au réveil. Du coup, maintenant, même si les effets sont un peu moins forts, je continue d’en prendre. Mais maintenant je ne considère même plus mon corps comme tel. C’est juste un bout de viande qui me permet de ramener de l’argent tous les jours à la maison. Avec mon salaire plus les extras j’arrive à peu près à vivre normalement. Je peux continuer mes études de photographie, ma passion depuis toujours et les petits ne manquent de rien. Même si tous les soirs quand je pars travailler, j’ai toujours peur qu’il leur arrive quelque chose. Les irlandais aussi sont du genre calme, de toute façon, je règle la dette à intervalle régulier, ils n’ont rien à dire. Bref, j’ai une vie de merde, mais tant pis, je ne veux pas que les petits soient obligés de régler la dette de leur père alors je m’y attèle. Je ne vis plus pour moi, du moins plus vraiment, mais ce n’est pas grave. Je n’ai surement plus d’avenir alors que Noreen et Sean en auront un, eux. Quand tout ceci sera fini. J’aimerai que Casey m’aide, mais je crois que vider mon sac en allant le voir quand je peux m’aide aussi.