ils m'entraînent jusqu'à l'insomnie.

Tu cours. Encore, toujours. Mais tes pieds semblent englués au sol ; tu n'avances presque pas. Au loin, les aboiements. Derrière, les cris, les injures, les menaces d'une vie encore pire. Devant, l'horizon avec ce soleil qui ne daigne jamais se lever. Créature de la nuit, tes yeux fixent les faibles lueurs de l'aube dans ce ciel qui ne s'éclaircira jamais. Une main se pose sur ton épaule, mais tu n'as déjà plus le temps de crier. Le coup fuse, la douleur te fait vaciller.

Elle ouvre les yeux avec un cri étouffé par son oreiller. Oreiller qu'elle serre fort, qu'elle tord, qu'elle écrase, comme pour amoindrir sa douleur, sa surprise, et la douleur de son cauchemar. Ça n'est pas nouveau. Elle en fait régulièrement et de toutes sortes différents. Elle inspire à fond, se redressant en prenant son visage entre ses mains, se concentrant sur sa respiration haletante comme si elle venait vraiment de courir. Elle se met à trembler, parcourue de frissons glacés. Les sueurs froides roulent dans son dos et elle se lève précipitamment. Au début, c'était dur d'accepter qu'elle avait besoin d'aide, qu'elle n'y arrivait pas seule. Mais elle s'y est faite. Du moins, avec certaines personnes. Et celle qu'elle a envie de voir là tout de suite, c'est Camille. Ne lui demandez pas, elle ne sait pas qui elle est pour elle, elle ne sait pas où elles vont, mais elle a besoin d'aide. Atrocement. Elle pourrait aller voir Alec.. mais comment dire, ce dont elle a envie là, c'est de bras pour s'endormir. Elle l'a déjà embrassé, elle ne peut pas vraiment aller réveiller Alec à cette heure-là pour s'incruster dans son lit. Avec Camille, elle peut, n'est-ce pas ? Elle est en chemise de nuit mais elle s'en fiche. Elle jette un oeil à son auto-réveil. Les chiffres clignotants affichent deux heures huit. Ni coiffée ni rien, elle enfile un long gilet qu'elle boutonne, s'éclipsant du dortoir avec le silence de celle qui connait les moindres bruissements que l'on peut faire en marchant. On ne l'entend pas. Comme une ombre, elle sort au dehors, filant vers le bâtiment des Poséidons, se retrouvant vite devant la porte du dortoir numéro trois tant elle connait le chemin par coeur. Elle tape doucement, quelques petits coups infimes, priant pour ne pas réveiller les autres membres du dortoir. Au pire, elle demandera qu'elle veut voir Camille. Elle entoure ses bras de ses mains, les frictionnant, malmenées par les images de son rêve, le vent glacial qui parcourt les couloirs, et ses démons, qui semblent la guetter au tournant, attendant simplement que ses barrières ne s'effondrent à leur tour.

† et tu ne sais même plus à quoi tu danses.
Il faut qu'elle soit là. Il faut qu'elle lui ouvre. Sinon, Delilah risque fort de décider de passer la nuit dans un trou à rat, avec sa précieuse drogue, quelques anxiolytiques pour s'endormir la cervelle et passer le reste de son insomnie, maintenant confirmée par son cauchemar, totalement éveillée. Camille fait partie de ses personnes – comme Alec – qui, en plus d'être quelqu'un à qui elle tient, est quelqu'un qui met en jeu toute sa survie. C'est un instinct animal, chez Madison, de survivre. Mais elle a besoin de quelques autres. Les secondes défilent, s'étirent, réduisant toujours un peu plus les possibilités quelconques qu'elle vienne ouvre. Elle commence à grelotter. Soudain la porte s'ouvre. Le visage de Camille lui apparait comme blafard, ravagé par des larmes qu'elle ne voudrait pas voir sur son doux visage. Mais avant qu'elle n'ait vraiment le temps de s'en préoccuper, Camille l'attrape pour la serrer dans ses bras. La blonde se perd dans cette étreinte, totalement abandonnée, elle se sert contre elle les yeux fermés comme pour les empêcher de pleurer. Del', ça va pas ? qu'est-ce qu'il se passe ? Delilah recule légèrement, reniflant comme une enfant. Elle cherche le regard de Camille. Je peux entrer..? Je peux rester pour la nuit ? Enfin, ce qu'il en reste, plutôt. Elle voit bien que son amie n'est pas bien non plus. Peut-être qu'à deux elles lutteront contre leurs démons et réussiront à dormir ne serait-ce qu'un peu. Presque timide, elle caresse doucement la joue de la blonde, esquissant un petit sourire.

la nostalgie de l'ange.
Elle la fait entrer presque immédiatement. Delilah le savait, de toute façon. Elle ne fait qu'un, avec Camille. Et elle sait qu'elle sera toujours là pour elle. À la contradiction avec les hommes, elle lui voue une confiance aveugle et elle n'a jamais eu peur que ça se prenne fin d'un seul coup. Avec les mecs, elle a toujours eu ces doutes malsains ancrés en elle. Elle embrasse sa main et Delilah la suit en silence dans le hall du dortoir puis dans la chambre. Elle observe retourner dans son lit, puis se débarrasse de son gilet, se retrouvant de nouveau en chemise de nuit. Allez, viens par ici... Docile, la petite Strauss marche lentement jusqu'au lit où elle grimpe, se laissant couvrir. Sa respiration est toujours autant hachée, des hoquets sanglotants menacent de la prendre. Camille l'enlace, et l'Allemande n'oppose aucune résistance. Avec elle, âgée de trois ans de plus, elle se sent protégée. Hé, cool Del', tout va bien, je suis là... C'est encore un foutu cauchemar, c'est ça ? Presque timidement, Rosie lève les yeux vers elle, hochant doucement la tête. Oui... confirme-t-elle oralement, se calmant peu à peu, blottie dans ses bras. Elle lève une main et caresse doucement la joue de Camille. Merci d'être là, Cam.. chuchote-t-elle doucement, enfouissant son minois dans son cou, respirant son odeur simplement, fermant les yeux pour se calmer. Elle s'en veut d'infliger tout ça à Camille. Elle a bien d'autres choses à gérer que de s'occuper des cauchemars d'une gamine, non ? Mais elle n'y peut rien. Elle a besoin d'elle, c'est plus fort que sa culpabilité.

le couteau dans la plaie trop souvent.
Il faut qu'elle se calme. Qu'elle cesse de faire l'enfant. Hmm... idéalement, qu'elle aille voir un psy aussi. Mais bon, vous savez, la fierté... Tu veux en parler... ? Delilah relève ses grands yeux bleus vers elle. Elle déglutit. Elle sait pas trop par où commencer, en fait. Je.. je courrais, il faisait nuit, j'essayais de m'enfuir... mais ils m'ont rattrapé, on m'a frappée et je.. j'me suis réveillée. Elle a soudain un peu honte. Un dirait un cauchemar de gamin, mais ça l'affecte beaucoup. Parce que ça touche à une de ses plus grandes craintes : que ses parents la retrouvent, même ici. Tu aurais dû m'envoyer un message au lieu de sortir comme ça, je serais venue directement. T'es gelée, tu vas être malade... Elle hausse les épaules, insolente, elle s'en fiche. Y a des jours – ou des nuits – comme ça où elle préfèrerait crever. Elle renifle, enfantine, et ne répond qu'au bout de plusieurs secondes, pas un faible : J'voulais pas te déranger encore plus.. Ouais, encore plus qu'en venant se réconforter là dans son dortoir quoi. Elle la frictionne et Rosie se serre contre elle, enfouissant sa tête dans son cou, la chatouillant sans doute de sa respiration. C'est normal, Del'... Tu mérites qu'on prenne soin de toi, jamais je ne te laisserais tomber... Ça la rassure, ça l'apaise, et elle hoche timidement la tête avant de se décaler juste un peu pour pouvoir la regarder. Elle s'accoude sur l'oreiller, caressant doucement une mèche de cheveux de Camille. Cam, c'est un peu sa drogue ... sa Cam quoi. ça n'avait pas l'air d'aller toi non plus.. Qu'est-ce qu'il se passe..? demande-t-elle d'une petite voix, également inquiète. Elle déteste voir Camille mal.

no warning sign, no alibi...
Ils... tes parents ? Elle se mordille la lèvre. Ce ne sont pas des parents, pour elle. Plutôt des séquestreurs. Bah quoi ? Quand on vous donne à peine de quoi manger, qu'on distribue les coups comme des cartes à jouer et qu'on vous pousse dans la rue pour vendre votre corps dès vos quatorze ans... moi, je n'appelle pas ça des parents. Oui.. j'ai tellement peur qu'ils me retrouvent.. avoue-t-elle en enfouissant son doux visage sous les couvertures. Je... je pensais à mon... f... Quentin Delilah s'en veut, de lui avoir demandé ça, de l'avoir poussée à parler. Elle déteste voir Camille pleurer. Elle l'observe, impuissante. Elle n'a jamais su quoi faire dans ces moments-là.. Elle se serre un peu plus contre elle, tournant son visage vers le sien pour essuyer délicatement les larmes qui roulent sur ses belles joues. Chut, chut, ça va aller.. murmure-t-elle tout doucement. Elle garde un instant le silence, pensive, cherchant ses mots pour ne pas trop enfoncer le couteau dans la plaie, disons. Quentin..? relance-t-elle alors, espérant qu'elle ne va pas braquer la blonde. Elle veut juste savoir qui c'est exactement. Souvent, Camille lui en parle, mais jusqu'ici, Delilah n'a pas eu le cran de lui demander clairement de qui il s'agissait. Et elle avait le pressentiment que ça avait été quelqu'un d'important.

aux encres des amours, les amours se déchirent.
Elle la laisse relever son visage. Elle plonge son regard dans le sien. Ils ne te retrouveront pas, Delilah. Elle ne répond rien. Parce qu'elle n'en est pas sûre. Parce qu'elle ne peut pas en être sûre, parce qu'elle ne le sera jamais et qu'elle aura toujours cette peur ancrée en elle. Tout ça, c'est terminé. Tu ne crains rien ici. Ils ne peuvent plus rien te faire. Ses paroles apaisantes font rouler quelques larmes encore sur son visage innocent, mais elle ne sanglote plus et sa gorge s'est libérée. Elle lui adresse un regard long de reconnaissance sans rien murmurer pourtant. Elle ne peut pas expliquer ce qui la lie à Camille exactement. La douleur peut-être. Une douleur qui les dévore l'une et l'autre de l'intérieur. Elle ne peut pas se passer d'elle. Ça n'est pas de l'amour. Car on peut se passer de l'amour – elle est arrivée à cette conclusion. Et qu'elle ne peut pas se passer de Camille. (...) Elle se demande qui est ce Quentin. Elle n'a jamais insisté ; peut-être le temps est-il venu qu'elles en parlent. Elle caresse à son tour les joues de la blonde, cherchant son regard bleuté qui a prit des teintes de pluie sous l'orage des souvenirs. Quentin, c'est mon fils... Les mots lui manquent. Delilah n'est qu'une enfant, à côté. Elle, elle parle de ses parents. Camille lui parle d'un fils. Prise au dépourvue, elle se sent soudain honteuse de ne pas savoir correctement aider son amie. Ça fait trois ans que je ne l'ai plus vu... Et il me manque affreusement. Rosie fronce les sourcils et se redresse un peu, dégageant son minois des couvertures qui l'étouffent pour pleinement être libre de chercher le regard de son pilier vivant. Mais.. où est-il, à présent ? Elle ne comprend pas. Elle essaie de chercher une solution : une adoption peut-être ? une avortement – et ça serait donc une métaphore ? autre chose ? Elle n'en sait rien. Elle passe sa main dans les cheveux de Camille, la rapprochant d'elle pour la serrer contre son corps, comme on sert un enfant qu'on console. Triste distribution des rôles. Je suis là, Camille, ça va aller...