« - Parlez-moi un peu de vous. »
« - J'ai rien à vous dire. »

Rien.

« - En êtes-vous certain ? »
« - Certain. »

A 200% peut-être même plus. Fou moi la paix, charlatant.. Dégage pomper le fric à d'autres paumés de la vie, y en a pleins dehors. Seulement voilà, ce « charlatant » -ci n'était pas comme les autres amateurs que Niklaus avait connu depuis le début de sa psychothérapie. Celui-ci n'allait pas si facilement lâcher l'affaire.

« - Parlez-moi de votre père. Keanu, n'est-ce pas ? »

Un sourire s'étire sur les lèvres du tatoué.

« - J'ai rien à vous dire. »
« - Ils disent tous ça. »

Le patient fronça des sourcils tandis que le psychiatre ouvrit son petit carnet de notes, lèvres pincés, cul serré.

« - Votre mère alors peut-être ? Margo.. »
« - Je connais le prénom de ma mère. »

Il griffonna quelque chose sur sa feuille moisie et replaça ses lunettes correctement sur son nez.

« - Votre taff à vous c'est pas plutôt d'écouter les gens, au lieu d'essayer de leurs tirer les vers du nez ? »

Silence.

« - Ils nous arrivent parfois, d'avoir quelques ... hum, réfractaires dirons-nous. »

Niklaus arqua un sourcil, incrédule. Et après quoi ? La chaise électrique ? Le sérum de vérité ou bien.. le détecteur de mensonges peut-être ?

« - Je ne vous lâcherez pas, vous savez... »
« - Je n'en doute pas un seul instant. »
« - Il est donc préférable, dans votre intérêt, que vous parliez maintenant. »
« - J'ai rien à vous dire. »

Le garçon se lève, échange de brefs regards avec son psychiatre et sort de la pièce, claquant la porte derrière lui. Une fois arrivé sur le pas de la porte du cabinet, il extirpe ‒ non sans quelques difficultés ‒ son paquet de Davidoff et en porte une à ses lèvres qu'il allume sur le champs.

« - Connasse. »

Il lève la tête au dessus de lui, elle est à la fenêtre et l'observe. Son ou plutôt, sa psychiatre qui le suit depuis maintenant trois mois pour au final quoi ... ? Rien. Le néant, le vide intersidéral, le silence le plus complet, l’abstinence totale. Niklaus ne parle pas, et il ne parlera probablement jamais, du moins, pas à cette femme, pas à cette soit-disant « médecin du cerveau » Je suis fêlé, vous le savez très bien, alors foutez-moi la paix. Tout simplement. Ce n'était pourtant pas compliqué à comprendre. Il n'avait pas besoin d'aide, pas besoin de causer de ses problèmes, de son passé ou de quoi-que ce soit d'autre, de rien à personne, point. C'était eux les fous, les fous de curiosité, de connaître tout sur tout. Fous de vouloir savoir la vérité, fous de vouloir comprendre la façon d'agir et de penser du tatoué, qu'ils le laisse en paix avec ses souvenirs, ses remords, ses vieux démons. Il n'avait pas besoin de la pitié des gens, de leurs regards désolé et faussement compatissants. Je suis un monstre. Ils ne comprendrons jamais. Je suis un fou. Ils ne comprendrons jamais. Ce monde n'est pas le mien. Ils ne comprendrons jamais. Mourir ne me fait pas peur. Ils ne comprendrons jamais. Mourir doit-être une sacré bonne aventure. Ils ne comprennent rien.

Laissez-moi vivre comme bon me semble. Laissez-moi crever en paix. Ma tête explose. C'est intenable. J'ai mal au ventre.. La fin approche. Mes yeux se ferment. Mon corps s’effondre. Je n'arrive plus à respirer.. La fin approche. Je tombe. Ma tête cogne le sol. Je perds connaissance...
La fin est là..

La Davidoff à peine consumée roule sur le sol. La psychiatre disparaît derrière le rideau de son cabinet et se précipite sur son téléphone fixe. Les urgences, vite !

« - Ce n'est rien tout vas bien. C'est habituel. Niklaus n'est pas mort, du moins.. pas encore. Il est juste mal tombé, il c'est juste frappé la tête contre le bitume. Rien de grave, regardez-le.. Il a l'habitude le petit. Sa mère devait le bercer trop près du mur pour qu'un jour il eut l'idée de se scarifier ainsi le corps.. »

Ce médecin, Niklaus ne l'aime pas. C'est un con, un con fini. Il ne conçoit pas que quelqu'un puisse posséder autant de tatouages sur le corps, il ne conçoit pas que quelqu'un puisse autant se faire souffrir pour selon-lui « rien de plus que le style » Du style ? Non. A force d'être traité de monstre on commence à penser que nous en somme réellement un. Zombie. Cadavre ambulant. Mort-vivant.. De banales insultes, puériles et inoffensives mais qui, dans la tête d'un être à moitié dérangé peuvent s'avérer être une révélation...

« - Il s'en remettra vous pensez ? »
« - Un peu qu'il s'en remettra ! C'est de la carne cet animal, croyez-moi. »
« - Tout de même, quelle idée ! »

Le premier fut fait à 16 ans, quelques mois après qu'il eût appris la nouvelle de sa maladie. La Porphyrie.. D'où venait-elle ? Bonne question. Niklaus n'a jamais demandé à ses parents si ils étaient la cause, d'ailleurs, il ne leur avait même jamais avoué qu'il été atteint de ce mal.
La suite s'enchaîna très vite. Moqueries, insultes, prise de conscience. Je suis un monstre. Alors, il choisit et décide de se faire entièrement tatoué le corps, petit à petit, parties après parties, malgré les « contres-indications » de ses médecins. « Évitez de vous blesser la peau. » qu'ils disaient.. « - A quoi bon ? Je vais mourir. » répondait-il le plus banalement possible. Niklaus n'était pas un idiot, il avait bien compris que les médecins essayaient de le rassurer en lui cachant la vérité. Il savait qu'il ne lui restait qu'une petite quinzaine d'années à vivre. Mourir ne me fait pas peur. Mourir doit-être une sacré bonne aventure..
A 19 ans son corps était quasi-tatoué au complet, crâne, cou, épaules, bras, mains, torse, dos, bassin, fesses, sexe, cuisses, mollets, pieds.. seules quelques petites parties restèrent indemnes, parties invisibles ou parties internes, parties négligeables ou parties non-importantes. Homme aux allures de cadavre en décomposition.

« - J'emmerde le monde. » avait-il seulement déclaré à l'homme muni d'une aiguille. « - J'emmerde le monde. » Je vais crever...

Souvent, les gens ‒ qui daignent lui adresser la parole ‒ lui demande il lors des gravures il a souffert. Le plus naturellement possible, Niklaus répond que non, que les crises de folies ‒ qui en réalité sont ses crises causées par la Porphyrie ‒ dont il est atteint sont bien plus douloureuses et qu'au contraire, se faire scarifier de la sorte lui a appris à faire passer la douleur, à se familiariser avec.. doucement, sûrement...
Une autre question revient régulièrement dans la bouche des gens aussi, « - Et tes parents, ils en pensent quoi ? » La famille, sujet épineux. Niklaus préfère se murer dans le silence et ne répond que par un rire à gorge déployé très souvent suivi d'un « - Quels parents ? Je n'ai pas de parents. » des plus naturels.

Sa mère étant hôtesse de l'air n'était que peu présente à la maison et donc, ce fut son père, Keanu qui fut charger de l’éducation du petit Niklaus. Homme froid, dur et intransigeant il refusait et désapprouvait totalement l’échec, et ce, dans n'importe quels domaines. Keanu battait énormément son fils, désespéré à la fois par son comportement mollasson et ses résultats scolaires ‒ à l'époque ‒ dès plus médiocres. Tortures physiques mais aussi tortures mentales il allait jusqu'à poursuivre l'enfant dans son sommeil, l'accompagnant le soir dans sa chambre, le sermonnant, le frappant jusqu'à ce qu'au final, le pauvre corps chétif du môme ne s’effondre sous les coups de ceinture et de Rangers (bottes).
Keanu a fait de son fils ce qu'il est devenu aujourd'hui. Quelqu'un de méchant, de froid, de perfectionniste. Sans cœur ni morale, sans états d'âmes ni aucune sensibilité.. Comme le raconte si bien le dicton, « tel père, tel fils. »