CHARLES-T. CALLAGHAN ⊱ Tout a commencé au moment où ce type s'est rapproché de ma soeur. Elle l'a ramené plusieurs fois à la maison, et je l'ai trouvé sympa. On n'avait pas vraiment les mêmes valeurs, mais on s'entendait bien et on se ressemblait pas mal sur le fait d'être complètement impulsifs et imprévisibles. Bon ok, il l'était bien plus que moi. Je l'ai déjà vu en train de s'énerver, de se mettre à pleurer et de rire et tout ça en moins de dix secondes d'espacement. C'était troublant, mais au fond, ça me fascinait et il avait parfois un air si fragile, si brisé, que j'avais juste envie de le protéger. Ce que j'ai souvent fait, d'ailleurs. Je ne compte plus beaucoup le nombre de types que j'ai castagné parce qu'ils avaient, avant ça, frappé le pauvre Jules. On se rapprochait de semaines en semaines, et il me confia alors ce qu'il vivait chez lui. J'avais beaucoup d'empathie pour lui, je ne pouvais pas me mettre à ma place parce que je crois que j'aurais préféré que mon père me frappe plutôt qu'il m'ignore. Mais il me faisait de la peine, et je trouvais ça injuste. Alors, je le prenais sous mon aile, oui. Au lycée au moins, personne ne le touchait plus. Peu à peu, on se confiant. Je lui parlais de quelques filles ; il me parlait toujours de ma jumelle. Au départ, je me souviens que j'aimais peu l'idée qu'il s'amourache d'Eleanor. Mais je voyais qu'il était réellement épris et je me suis mis à lui donner quelques astuces pour l'approcher plus facilement. C'était une sorte de petit secret entre nous. Quand nos parents sont morts, c'est avec naturel que l'on a proposé à Jules de venir avec nous. Il faisait presque partie de la famille. Alors, il est venu avec nous. Depuis qu'on est ici, je sais que Lea l'a repoussé. J'essaie de l'aider toujours quand même et un soir n'est pas coutume, il est venu frapper à ma porte, des larmes dans ses grands yeux noirs, et je l'ai laissé entrer tout naturellement. « Je.. je sais plus comment faire avec Lea, j'aimerais tellement qu'elle se rende compte que... » Il ne continue pas, mais j'ai compris et il le sait. Je ne sais pas quoi lui dire, alors je garde le silence. Je décide de sortir quelques bières du petit frigo que j'ai dans la chambre, agrémenté finalement d'un fond de vodka pour détendre l'atmosphère et lui changer les idées. On boit, on plaisante, on parle de filles et il m'avoue être bisexuel. Honnêtement, j'ai jamais eu de soucis avec ça, je m'en fous un peu pour tout dire. Les heures passent, on rigole bien... puis à un moment, étrange, il me vole un baiser bref et inachevé. Hébété, je le regarde sans réagir. Il doit prendre mon absence de réaction comme un assentiment parce qu'il revient à la charge. Le baiser est plus passionné, plus long, et je me retrouve vite torse nu contre lui sans savoir si c'est lui ou moi qui s'est occupé de me dévêtir. J'ai alors un électrochoc, et je me rends compte de ce qu'il se passe ; je le repousse immédiatement. Le souffle court, je n'attends pas une seconde de plus pour l'attraper par le col de son t-shirt, le soulever pour le jeter dehors. Je lui claque la porte au nez. « Teddy ! Laisse-moi entrer ! Je sais que ça t'a plu aussi ! » Je ne réponds même pas tant je suis sonné. Je le déteste. Je le déteste parce que je ne suis pas gay, je le déteste parce qu'il a raison et qu'il lui a suffit d'un putain de baiser pour briser toutes mes certitudes établies en vingt ans. Depuis, je l'évite. Lui, il s'est mis en tête de me faire accepter le fait que je puisse être bisexuel. Moi, je m'y refuse. C'est impossible, tout bonnement parce que ça briserait toute mon image, toute ma réputation au campus. J'entends d'ici les « Ahah, le Callaghan est pédé, finalement ! ». Hors de question. Je suis au sommet de ma popularité, et je ne redescendrais pas pour le simple fait que Jules m'ait troublé. Et pourtant, quand il vient me voir avec des cernes sombres sous les yeux, j'ai du mal à le repousser. Quand je vois sa petite tignasse blonde passer à côté de moi, j'ai autant envie de passer mes doigts dedans que de les lui arracher une par une. Alors, ouais, je le déteste pour ça. En plus, il se débrouille toujours pour se retrouver seul avec moi, que ça soit dans les couloirs où il essaie de m'embrasser, dans l'ascenseur où il s'amuse à me frôler, ou dans une salle de cours où il se colle contre moi. Heureusement que je suis plus fort que lui et que je peux le repousser à chaque fois, mais je suis incapable de lui faire réellement du mal, même si une ou deux droites ne lui feraient pas trop de mal je pense. Je sais qu'il est dingue de ma soeur, mais qu'il n'est tout de même pas prêt à démordre de son objectif envers moi, même si je sais qu'il n'a aucun sentiment, et que ça n'est qu'une affection et une alchimie physique. Mais c'est dur à gérer. Surtout quand il fait naître tant de contradictions en moi, entre l'envie de lui mettre une droite, de le prendre dans mes bras, et de le plaquer contre un mur. Et ça me tue.

L-A. ELEANOR CALLAGHAN ⊱ Tout a commencé au lycée, lorsque Jules m’a bousculée. Garce que je suis, je l’ai suivi jusqu’au parking des élèves pour le forcer à s’excuser, c’est la moindre des choses. « Dis, tes parents t’ont pas apprit la politesse ou quoi ?! », avais-je lancé en l’attrapant par l’épaule. Surpris, Jules s’était retourné, et c’est là que j’ai croisé son regard noir, si profond et bordé de larmes… Un œil au beurre noir trônait juste en dessous de son œil droit. Immédiatement, il a baissé la tête pour s’excuser. Etrangement, j’ai ressenti une certaine gêne en le voyant dans cet état, une empathie, chose qui ne m’arrivait que très peu. « Hmm c’est rien. Mais, qu’est-ce-qui t’es arrivé ? », Demandais-je en pointant du doigt son œil. Rapidement, il répondit « Rien, je… je dois y aller, a plus ». Je ne l’avais pas retenu, j’avais autre chose à faire que de jouer les psys. Pendant des jours, j’ai pensé à lui, je me demandais pourquoi à chaque fois que je le croisais il avait l’air aussi malheureux. Un soir alors qu’il étudiait à la bibliothèque, je suis allée le voir, puis nous avons pas mal discutés. Finalement, il était plutôt sympa et très attachant. Un jour alors qu’il pleurait, j’ai osé lui demander ce qui se passait, et il s’est confié, en fondant en larmes dans mes bras. Sous le choc, je lui avais proposé quelque chose qui allait nous souder « Ecoute, si tu veux, tu peux venir chez moi quand ça va pas, n’importe quand, et tu peux même dormir, il y aura toujours une chambre pour toi, tu m’entends ? Ca va aller… ». J’ai toujours été là pour lui, et lui aussi, même si j’avais nettement moins besoin de quelqu’un en ce qui me concerne. Notre amitié n’a cessée de se consolider durant nos années lycées, et Jules savait qu’il pouvait toujours compter sur Teddy et moi. Après la mort de mes parents, cela a été encore plus fort. Je ne pensais pas que moi, la petite garce Callaghan, j’aurais pu m’attacher à ce genre de garçon, mais pas du tout. Suite au décès de mes parents, nous sommes partis à Jersey pour vivre avec notre grand-père, et il était absolument hors de question de laisser notre ami avec son taré de père en France. Depuis que nous sommes arrivés, Jules a changé. Il est collant, il m’appelle trop souvent, m’envoie pleins de texto, perd patience quand je ne réponds pas assez vite, il me suit tout le temps. Je n’ai pas une minute de répit. Un soir, il m’a embrassé pendant que nous étions posés au parc. J’ai laissé faire, car ça ne m’avait pas déplu, mais sans plus. Et Jules a pensé que quelque chose était possible entre nous. Un soir, j’ai craqué « Tu comprends pas ou quoi ? Tu es trop instable, ta vie est trop instable pour qu’on puisse vivre quelque chose tous les deux ! Oui je t’aime beaucoup mais en tant que simple ami, arrête s’il te plait, tu vas tout gâcher ! », et il a pété un câble. Une crise de colère, un visage froid, son regard profond qui me tuait du regard, j’ai vraiment cru que j’allais m’en prendre une… Et alors que je le mettais à la porte, il m’a supplié de le pardonner, en pleurant. Aussi déchirant que ce fut, je lui ai fermé la porte au nez, complètement effrayée et sous le choc d’avoir pu découvrir cette facette de sa personnalité. Je le rejette, je tente d’être méchante, j’essaye d’ignorer le fait qu’il veut que l’on soit plus qu’amis, mais rien de ce que je peux faire, ou même dire, ne le fait réagir. Mais quand je le vois, je craque, je ressens quelque chose de fort et d’étrange. Quand il pose son regard tendre et envoutant sur moi, en me souriant, je détourne le mien pour éviter de le croiser, de peur de me sentir gênée. Je suis toujours là pour lui lorsqu’il n’a pas le moral, mais je refuse de le voir pour autre chose. Jules ignore que je m’en veux terriblement lorsque je l’envoie promener, parce que malgré ses défauts et sa personnalité particulière, je sais qu’il me connait, qu’il m’aime pour ce que je suis, et… moi aussi je ressens quelque chose mais comment faire pour remédier a tout ça… je ne sais plus comment me comporter, je suis perdue… et je déteste ça.