C'est étrange comme penser à quelqu'un le fait subitement apparaître devant vous. Et comme le moment est toujours mal choisi. Comme si les problèmes n'étaient jamais suffisamment nombreux, il devait y en avoir toujours plus. Pourquoi ne pas en rajouter un peu chaque jour, pour que cela soit plus amusant... Alec pensait à la première personne qu'il avait aimée, la seule qui ai autant compté que Noa. Et la seule qui lui ai brisé le coeur. Sahara. Oui, ils étaient jeunes et tellement déboussolés pas ce premier amour, mais il avait su que c'était elle dès que leurs regards s'étaient croisés. C'est pour cela qu'il avait osé l'approcher, parce qu'il savait. Il avait tout de suite su. Mais elle avait subitement disparu, et ils ne s'étaient jamais revus. Alec avait appris par les professeurs du lycée, c'est leur rôle d'annoncer les mauvaises nouvelles, apparemment, qu'elle avait la chance de partir un an aux Etas-Unis pour un échange linguistique... S'il l'avait appris de sa bouche, il aurait pu s'en réjouir, être heureux pour elle. Triste, mais partageant sa joie. Qu’elle soit partie sans prévenir, du jour au lendemain, avait été dur à avaler. Difficile à croire... Il ne l'avait jamais oubliée, ne l'oublierait sans doute jamais, seulement, avec sa soeur et l'arrivée de Noa dans sa vie, il n'avait pas pu chercher à reprendre contact. Il n'avait pas voulu, d'ailleurs, car il estimait que c'était à elle, de revenir, s'il comptait un tant soit peu pour elle. Elle était partie sans rien dire, à son tour de chercher, il n’allait pas lui courir après... Mais il n'avait jamais eut de nouvelles, et s'était construit une autre vie, s'efforçant d’oublier ce qui lui faisait tant mal. Une vie qui tournait autour de sa petite soeur, de Noa, et du bébé. Plus rien ne comptait à part eux trois, plus personne, du moins c'est ce qu'il pensait.

L'éviter pour sortir et sortir pour l’éviter, sa vie se résumait à cela, finalement. Alec ne voyait plus grand monde et, à vrai dire, cela ne lui manquait pas plus que ça. La solitude avait toujours occupé une grande place, surtout depuis la mort de sa mère. Car sa soeur disparaissait dans sa chambre dès qu'elle rentrait des cours et il ne fallait pas compter sur son père pour faire la conversation. Et Alec pensait à cela, à tout cela ainsi qu'à Sahara, lorsqu'il fut percuté par quelqu'un. Une personne qui, comme lui, jurait facilement. Cela lui tira un sourire, le premier de la journée, mais il le perdit en la reconnaissant. Il se demandait s'il pouvait l'excuser et sans aller ou si... Trop tard, elle avait levé les yeux et l'avait, elle aussi, reconnu. Il aurait souhaité éviter ce moment... Ce n'était vraiment pas le moment, vraiment pas le jour, ni le mois, et surement pas l'année pour cela. Noa était enceinte et il ne parvenait pas à se dire que cet enfant était le sien, se braquait et finissait toujours pas s'en aller. Et il tombait sur elle, la première personne pour qui il avait ressenti ce qu'il ressentait aujourd'hui pour Noa. Il bascula sa tête en arrière puis, reposant son regard sombre sur Sahara, pas une main dans ses chevaux. Il avait toujours fait cela lorsqu'il était nerveux ou en colère. Il était les deux. « Salut. » Il en sut pas pourquoi il avait dit cela, Alec lui en voulait terriblement pour ses années de silence, ce départ bien trop précipité et, surtout, ce coeur qu'elle avait brisé. En mille morceaux, comme s'il avait été plus fragile que du verre. Et il l'était, il l'avait toujours été. Il avait l'air insensible, et s'efforçait de l'être, mais ce n'était pas toujours simple. Et elle le savait.

On pouvait rêver mieux, beaucoup mieux, comme retrouvailles. Mais qu'est-ce qui vous dit qu'Alec avait envie de ses retrouvailles, ou que les choses s'arrangent ? D'accord, il ne savait pas ce qu'il voulait exactement, mais surement pas tout oublier d'un coup, faire comme si de rien était. Pas à cause de ce qu'il avait perdu, mais car elle ne l'avait pas prévenu, et encore moins recontacté par la suite. C'était le plus dur à digérer. Comparé à cela, la blessure jamais refermée que cela lui avait occasion n'était rien. Il avait eut l'impression d'être trahi, abandonné, mal aimé. Une troisième fois. Par sa mère, puis son père, et elle, Sahara alors qu'il pensait avoir enfin trouvé une autre personne qui le comprenne. Quelqu'un qui serait aussi fidèle que sa soeur, qui ne l'oublierait pas, ne le laisserait pas tomber. Car, malgré tout, tout ce qu'il pouvait dire ou faire, il avait un énorme besoin d'affection, de savoir qu'on était là pour lui, comme il était là pour l'autre. Il ne demandait pas la lune, ni ce qu'il se savait incapable de donner, il voulait juste un peu d'attention, savoir qu'il comptait. Le jeune Grey en avait affreusement besoin, s'étant trop senti abandonné avant même d'être majeur. A dix-huit ans, il aurait compris, voir accepté, mais là... A treize ans, cela avait été trop pour lui, savoir qu'il ne pouvait compter ni sur ses parents, ni sur sa soeur - bien trop jeune. Il aurait donc pu se refermer sur lui même, déprimer et que sais-je encore, mais il n'avait jamais été comme cela. Et il y avait Eileen... Eileen qui avait besoin de lui, et son taré de père face auquel il était hors de question de paraître faible et triste à en mourir.

La question le fit presque sourire. Sarcastiquement, cela va de soit. Alec croisa les bras et tenta, sans doute vainement, de paraître insensible à tout ce qu'elle pourriat dire ou faire. Sahara avait un regard très, trop, affectueux. Trop l'air de dire que tout allait bien, qu'il y avait encore possibilité que les choses s'arrangent. Mais il ne voulait pas que cela s'arrange, il ne voulait pas la revoir, lui reparler, tenir de nouveau à elle comme à la chose la plus précieuse au monde. Une fois mais pas deux. « Je vais mieux, si c'est ce que tu demandes. » Que voulez vous, on ne lui apprendra jamais à se contenir. Et ce n'était rien, rien comparé à ce qu'il aurait pu exprimer ou faire. A ce qu'il ressentait réellement. En fait, il ne savait pas lui-même ce qu'il pouvait ressentir. Ces temps-ci, sa vie était un chaos total, une accumulation de choses auxquelles il ne comprenait rien et n'avait, souvent, pas envie de comprendre. Alec était quelqu'un de compliqué, un peu comme la plupart des gens, et on pouvait très bien le comprendre un moment, et ne plus du tout le suivre la seconde d'après. Cela faisait partie de son caractère. Imprévisible.

Pour la énième fois, Alec se demanda pourquoi il se retrouvait là à parler avec Sahara. Mais surtout pourquoi il se montrait si froid, si distant, si... blessant. Au fond, il savait qu'il l'aimait. Pas d'un amour amoureux - je me comprends - mais il avait une véritable affection pour elle. Affection qu'il ne voulait pas avoir, qu'il refusait de montrer. Par entêtement, sans doute. Car il détestait avoir tord, céder ou perdre. Et montrer ce sentiment pour Sahara revenait à tout cela. Car il avait eut tord de croire qu'elle n'avait plus aucun effet sur lui, que c'était du passé, oublié. Il se sentait céder, accepter ses excuses. Et, finalement, il avait perdu. Il s'était dit qu'il avait refait sa vie et que tout irait bien. Mieux. Il avait eu tord, une fois de plus... Car elle avait toujours le don de le faire douter. Parce qu'il était réellement heureux de la revoir, même si cela ne tombait pas au moment le plus propice pour des retrouvailles. Vous voyez les gens qui disent ' je suis faible, je ne peux pas résister '. Oui, vous voyez... Eh bien, il était faible, et oui, il ne pouvait résister à ce regard. A cette fille. Il ne l'avait pas oubliée car il ne l'avait pas tellement voulu. Il avait attendu trop longtemps pour accepter la défaite. Et, maintenant qu’elle se trouvait face à lui, il n'était plus sûr de rien. Il se raccrochait à l'idée que Noa l'attendait chez eux. Chez eux. Car ils vivaient ensemble, étaient heureux et allaient avoir un enfant. C'est tout ce qui devait compter...

Le lieu n'était pas le mieux choisi pour parler. Surtout pas de cela. Alec serra les mâchoires, plus pour s'empêcher de l'excuser directement qu'autre chose. Car, malgré tout, il ne pouvait se résoudre à la détester. Cela n'avait jamais réellement été le cas, il avait juste voulu s'en persuader, pour oublier, pour justifier le fait qu'il n'avait plus jamais cherché à la retrouver. « Je veux bien admettre que cela t'a fait du mal... Mais tu n'as pas pensé que je pouvais moi aussi me dire que tu étais avec quelqu'un d'autre ? Tu ne crois tout de même pas que je t'ai si facilement oubliée, que je me suis jeté dans les bras de la première venue pour aller mieux ? Si tu m'avais prévenu... En fait ça n'aurait rien changé à ce niveau là. Parce que je t'ai attendue... Même si c'était totalement désespéré, même si je savais pertinemment, au fond, que je ne te reverrai pas. » Il secoua doucement la tête, un rire sans joie lui échappa. Passant une main dans ses cheveux, il pensa à Noa. « Mais c'est trop tard. » Même s'il tentait de l'oublier, il allait être père, que l'enfant soit réellement de lui ou non. Et, même si cela n'avait pas été le cas, il était fou amoureux de Noa, et estimait avoir perdu bien trop de temps à l'attendre. Il avait refusé de voir ce qu'il ressentait pour Noa car il pensait d'abord à Sahara, à son retour, à... Et puis, finalement, rien. Après tant de temps, il n'y avait plus rien à espérer. Pourtant, il s'avança vers la jeune Harrington et la prit dans ses bras.

C'est difficile d'oublier son premier amour, mais c'est encore plus difficile de le retrouver. C'est toujours lorsque l'on croit avoir enfin définitivement tourné la page que cela nous revient en pleine figure. Effet boomerang. A choisir, le boomerang Sahara est mieux que le normal. Pour tout vous dire, je n'ai jamais réussi à en lancer un correctement, et c'est bien le cadet de mes soucis. Alec ne trouva rien à répondre aux paroles de la jeune femme, elle s'en voulait, et, oui, cela lui suffisait. Car l'eau avait coulé sous les pont, des heures, des jours, des semaines, des mois. Et des années. De longues années, bien remplies, qui avaient atténué peine et rancoeur. Ouaip, les quelques réflexions froides, c'était un peu juste pour la forme. Il la pris donc dans ses bras, oubliant, souhaitant seulement tourner la page, rendre les choses plus faciles. Après tout, ils en avaient suffisamment souffert l'un comme l'autre.

« Pourquoi tu ne m'as rien dit ? » Alec se détacha d'elle - redevenons sérieux deux minutes, et puis il ne faudrait pas y prendre goût Il ne lui, laissa pas le temps de répondre, s'expliquant. « Tu ne m'as même jamais parlé de ce concours. Tu n'as pas dit que tu voulais y participer, que tu aurais aimé perfectionner ton anglais ou je sais pas quoi... Non, tu es juste partie. » Lorsqu'il l'avait appris, il s'était seulement demandé pourquoi. Et puis il s'était dit que c'était sans doute de sa faute, qu'il devait avoir fait quelque chose qui lui aurait donné envie de partir. Que voulez-vous, c'est la première raison que l'on voit, à cet âge, quand on a l'impression d'être abandonné. Finalement, il avait pensé qu'il pouvait prendre l'avion jusque là et la retrouver. Eh ouais, très malin, comment tu fais pour le retrouver après ? et il avait laissé tomber... Le prie ? L'anglais, lui, il connaissait parfaitement. Sa mère ne venait pas de là pour rien, il n'avait pas une famille nombreuse en Angleterre pour rien. Etats-Unis, Angleterre, du pareil au même, l'anglais c'est l'anglais.