Pourquoi est-ce que je suis obligée de faire ça ? Je n'ai pas envie d'aller le voir, je n'ai pas envie d'en parler. Elle croit sérieusement que ça va m'aider, d'aller parler à un psy ? Ca ne sert à rien, il ne pourra rien y faire maintenant que cela s'est passé. Ca fait déjà un moment, 6 ans maintenant. Pourtant, j'ai l'impression que c'était hier.. J'ai l'impression de le revivre chaque jour, j'ai l'impression chaque matin à mon réveil que ça va se reproduire. La porte s'ouvre et une femme apparaît. « Aphrodite, tu peux y aller. » Je relève le regard vers la femme, lui souriant le plus hypocritement possible. « D'accord, merci. » connasse, me suis-je retenue de dire, avant de me lever et de rentrer dans la salle. Je m'installe comme à chaque fois que le même fauteuil, je m'allonge et je ne regarde même pas mon nouveau psy. Dire que l'autre est malade, je vais encore devoir raconter tout du début, comme souvent, comme à chaque rendez-vous, comme s'ils s'amusaient à me faire pleurer sans cesse, à me faire remémorer ces moments de ma vie que j'essaye d'oublier. « Je suis le docteur Marshall, je vais être avec toi pendant.. » « Je m'en fous. Sincèrement, j'en ai rien à foutre. Je sais ce que vous voulez, vous voulez que je vous dise pourquoi ça ne va pas ? Vous voulez que je vous raconte ce qui m'a traumatisé pour le reste de ma vie et ce qui restera encré dans ma mémoire jusqu'à ma mort parce que ça vous amuse de savoir ce que les gens pensent ? Ca vous amusent de voir les gens souffrirent ? Après tout, si on ne souffraient pas, vous n'auriez pas de boulot, n'est-ce pas ? » Je fixe le plafond, je ne le regarde pas, mais je lui fais bien comprendre que je ne suis pas facile. Que j'ai un caractère de merde et qu'il va devoir faire avec, qu'il a juste à s'adapter, comme le fait très bien l'autre depuis des années maintenant. « Très bien, tu as raison au fond. Alors je t'écoute juste, raconte-moi ce qui t'a traumatisé. Tu es là pour ça. » Super, il va dans mon sens, au moins on ne va pas s'engueuler et il y a moins de risque pour que je le frappe au bout d'un moment. Je souffle un bon coup et je ferme les yeux, prête à lui raconter, prête à repartir dans mes souvenirs, à repartir dans ce moment tragique de ma vie. Prête à souffrir une nouvelle fois.

11 septembre 2001

Je regarde les buildings un à un, le sourire aux lèvres. Aujourd'hui, c'est l'anniversaire de papa, alors on vient lui faire une surprise sur son lieu de travail avec maman et Penny, ma soeur. Il est 8h45 quand on arrive près des deux tours jumelles du World Trade Center, papa travaillant dans la deuxième. Je sors rapidement de la voiture et j'attrape la main de ma petite soeur de huit ans, alors que je suis âgée de 10 ans. On rentre à l'intérieur avec maman et on commence à dire bonjour aux femmes de l'accueil et aux employés que nous connaissons. On connait beaucoup de personnes ici, on vient souvent et il y a une très bonne ambiance entre tout le monde. L'un des collègues de bureau de papa attrape ma petite soeur et la porte sur son dos, alors qu'elle rit. « Je l'emmène à Matthew, il doit être en train de boire son café au lieu de bosser, comme toujours. » Il nous fait un clin d'oeil alors que maman rigole. « Je peux y aller avec eux ? » Dis-je en levant les yeux vers ma mère. Elle regarde l'ascenseur dans lequel il pénètre et elle secoue négativement la tête. « Non ma puce, regarde il est plein ! On ira après, t'inquiètes pas on a toute la matinée. Va voir Annabella là-bas pendant quelques minutes et après on va voir papa. » Je lui souris, ne disant rien de plus avant de me diriger vers Annabella qui me montre des choses comme à chaque fois. Les minutes passent et nous n'entendons absolument pas le premier avion qui s'est déjà écrasé contre la première tour. Les minutes passent et maman m'appelle enfin pour qu'on aille voir papa. Il est 9H02 et quelques secondes plus tard, alors que l'ascenseur descend, alors que l'on allait bientôt rentrer à l'intérieur pour rejoindre papa et Penny au 98ème étage, l'immeuble entier tremble. Quelque chose vient de s'écraser contre l'immeuble. Les gens commencent à avoir peur, à hurler et maman m'attrape alors que l'on court à l'extérieur, comme tous les autres. « Mais papa et Penny ! Il faut aller les chercher maman ! » Elle ne me répond pas et une fois à l'extérieur, on se retrouve perdu. On court un peu plus loin et en se retournant, on voit toute cette fumée sortant des deux tours, on se rend alors compte qu'elles sont toutes les deux touchées, que des gens sont blessés, que les gens hurlent, qu'il faut qu'on aille plus loin si on ne veut pas finir blesser. Mais on se rend surtout compte que papa et Penny sont pratiquement tout en haut de la tour et qu'ils ne pourront jamais redescendre. Plusieurs personnes nous prennent et nous emmènes plus loin, en sécurité, alors que maman pleure et que moi, je reste perdue, ne sachant pas comment réagir face à cette scène. Le téléphone de maman sonne et c'est la photo de nous quatre qui apparaît, papa. Elle décroche, en larmes. « Matthew, mon amour.. » Je colle ma tête contre l'appareil pour entendre la voix de papa, mais je n'entends rien. Ils parlent, enfin papa parle alors que maman pleure. Puis elle me tend le téléphone, les yeux rouges et les joues mouillés. Je l'attrape et le colle contre mon oreille. « Papa.. » « Ma puce, ma belle, écoute-moi bien et surtout ne pleure pas s'il te plait. Tu es la chose la plus importante à mes yeux avec ta mère et ta soeur, mais maintenant, tu vas devoir faire preuve de beaucoup de courage du haut de tes 10 ans. » Je ne comprends pas, pourquoi est-ce qu'il me dit ça ? J'ai envie de pleurer, car de voir tous ces gens pleurer, de voir ma maman pleurait, d'entendre la voix saccadé de mon père, mais je me retiens, car il me l'a demandé. « Dis-moi que tu vas descendre, dis-moi que tu vas venir, s'il te plait, je t'en supplie.. » Il éclate alors en sanglot, je l'entends, je le sais. Et j'entends Penny pleurait, je l'entends et ça me brise le coeur. Cette scène, elle me brise de l'intérieur, alors que je reste forte. « Tu vas réussir ta vie, tu vas faire ce que tu aimes, tu vas être semblable à toi-même, tu vas être la fille que tu veux et tu vas vivre comme tu le veux. Parce que la vie peut s'arrêter à tout moment, même au moment où on s'y attend le moins, d'accord ? Promet-moi que tu vas profiter de ta vie, chaque seconde, comme si c'était le dernier, sans jamais nous oublier à moi et Penny ? Et promet-moi que tu seras toujours là pour maman ? » J'ai la gorge nouée, j'ai envie de pleurer mais du haut de mes 10 ans, j'ai déjà beaucoup de fierté et je ne veux pas pleurer. Je me racle la gorge, regardant maman qui pleure. « Je te le promet papa. » Il pousse un soupire de soulagement, chuchotant des mots rassurant à l'égard de Penny. « Joyeux anniversaire, papa. » Il rit alors. Oui, il rit. « Merci ma puce, je t'aime et je t'aimerais toujours. » J'allais lui répondre, j'allais lui dire que moi aussi je l'aime et je l'aimerais toujours, chose que je ne lui ai jamais dites en 10 ans. J'allais mettre ma fierté de côté, j'allais faire un effort d'affection envers mon père. Mais je n'ai pas eu le temps, car la tour s'est effondré. J'ai entendu les cris de mon père, de ma soeur et d'autres en direct, en même temps de voir la tour partir en fumée sous les cris de ma mère. J'ai coupé la conversation, rangé le téléphone dans le sac de ma mère et je me suis mise dans les bras de ma mère, éclatant en sanglot..

11 septembre 2001

J'ouvre de nouveau les yeux, alors qu'une larme coule sur ma joue. Je l'efface d'un coup de manche rapide, me relevant et me mettant face à mon psy. « Vous voyez, j'ai 16 ans maintenant. Ca fait 6 ans que cela s'est passé. 6 ans que mon père et ma soeur sont morts. Il y a 4 ans, j'ai retrouvé ma mère morte dans son lit après avoir pris trop de médicaments, car elle faisait une dépression depuis déjà 2 ans, à cause de cet évènement. Et moi, je suis restée moi-même. Je suis restée la même, je suis devenue grande, j'ai évolué, j'ai changé sur certains points mais comme mon père me l'avait demandé, je suis restée semblable à celle que j'étais. Que cela plaise ou non aux autres. Je n'ai pas perdue la tête, je n'ai pas fait de dépression, je suis restée forte et même si parfois je souffre, même si ça me rend triste, même si le 11 septembre restera gravée dans ma mémoire, je ne deviendrais jamais folle et je garderais ma joie de vivre, ma folie. » Je ne le laisse pas parler, je n'ai pas envie de savoir ce qu'il en pense, je m'en fous totalement. J'attrape mes affaires, je remets ma veste et je tourne mon regard vers lui une dernière fois. « A la semaine prochaine monsieur Marshall. » Puis je quitte la pièce.

Maintenant, j'ai 20 ans, je ne vis plus à New York, mais à Jersey. A cause de l'université. Je m'y plais, j'y suis intégrée et je suis bien. Je ne vois plus de psy, parce que cela ne me sert à rien. La plupart des personnes ne me connaissent pas vraiment, ne savent pas qui je suis réellement et ne savent en aucun cas quoique ce soit sur mon passé, sur ma famille. Et ça me va d'ailleurs très bien comme ça. Je compte continuer de vivre au jour le jour, tout en profitant de la vie, profitant des jours comme s'ils étaient les derniers, sans me soucis du lendemain, car celui-ci est incertain.