Depuis qu'il est ici, Charles fait tout pour contrer la routine. Il déteste ça, il cherche toujours à l'éviter, d'un moyen ou d'un autre. Par des rencontres ou des activités. Peu importe, mais il s'arrange toujours. Passant une main dans ses cheveux bruns déjà ébouriffés (il porte à merveille le style du "décoiffé-très-bien-coiffé-en-fait"), il laisse ses yeux balayer l'intérieur de la cafétéria. Il s'avance, va s'acheter un simple sandwich, et s'apprête alors à sortir de la cafétéria. Charles ? Il ralentit jusqu'à s'arrêter. Ici, personne ne l'appelle vraiment comme ça. Ici, il est plutôt "Teddy". Certains gardent encore la conformité de l'appeler par ce prénom, mais d'habitude, non. Sauf ceux qui le connaissent depuis longtemps ; or, la voix qui vient de l'appeler, il ne la connait pas. Il se retourne alors lentement, pour dévisager la jeune brunette qui est tournée vers lui. Merde. Elle lui dit quelque chose. Elle lui dit vraiment quelque chose. Et puis tout lui revient. D'un seul coup. Sous le ciel gris de Paris, dans la cour de l'école, le premier bisou échangé, celui de deux gosses innocents, encore inconscients des tournants de la vie et de leurs tourments. Il n'a jamais oublié son nom, ni son visage. Ça fait neuf ans. Neuf ans, donc elle a grandit, elle a changé, mais il la reconnait encore. Et surtout, il n'aurait jamais pensé la croiser un jour... ici. Léo. murmure-t-il d'abord, bien trop déboussolé pour réagir. Il passe une main dans ses cheveux bruns, avant de finalement s'installer sans gênes en face d'elle. Son visage se fend d'un léger sourire. Qu'est-ce que tu fais ici ? Ça fait... longtemps.

Ça lui fait bizarre, ouais. Parce que Léo, elle fait partie de Charles, elle fait partie de Paris, elle fait partie de la vie d'avant. Du Charles d'avant. Alors ouais, ça lui fait drôle, parce que ça le ramène à une époque qui lui semble être une autre vie. Celle où il était encore innocent, libre, et avec des parents même s'il ne les voyait quasiment jamais. Ça fait neuf ans, ouais. Putain. Neuf ans, ouais, putain. Il n'aurait pas su mieux traduire ce qu'il pense à ce moment-là. Il déballe son sandwich, parce qu'il a faim, et qu'il compte bien pour autant ne pas la laisser comme ça. Ben ouais, c'est que Léo, à l'époque, c'était pas n'importe qui. C'était sa petite amoureuse, c'était celle avec qui on le disait "mignon", car "ils sont si jeunes". Bien loin du manque d'innocence d'aujourd'hui. J'habite ici depuis six ans. Faut croire que j'avais besoin de changement, Paris m'a lassé. Et toi ? Qu'est-ce que tu fous aussi loin de la capitale ? Depuis six ans. Donc elle est là depuis bien plus longtemps que toi. Paris l'a laissée ? Tu en doutes. Paris ne lasse personne. Paris quand on y nait, on veut aussi y crever, parce qu'elle est machiavélique, la capitale. Elle entraîne, elle enchaîne. Il hoche la tête et regarde son sandwich ouvert sans pourtant y toucher, avant de relever ses yeux grisonnant vers elle. Elle est ravissante. Mon grand-père tient ce campus et à la mort de mes parents, on n'a pas eu d'autres choix avec ma jumelle que de rappliquer ici. explique-t-il avec une indifférence qui serait troublante si ça n'était pas lui. Mais Teddy a toujours affirmé haut et fort que le décès de ses deux parents avec si peu d'intervalle ne lui faisait rien. Certains disent qu'il dit ça pour se protéger, mais c'est faux, car ce qu'il raconte est bel et bien vrai. Ça en serait presque plus triste encore. Il soupire doucement, avant de passer une main libre dans ses cheveux bruns. Son visage se fend d'un léger sourire. T'as bien grandi, en tout cas. T'es encore plus ravissante qu'avant.

Certaines personnes, ça les brusque, ça les choque, ça les dérange, qu'il en parle comme ça. Mais vous savez, il a plus pleuré le départ de ses nounous engagées par ses parents que la mort desdits parents. Mais bon, c'est comme ça, hein. On retourne pas dans le passé, on change pas les faits. Si tu l'dis. Mais tu t'es vu toi ? Sérieusement ? J'comprends pourquoi j'ai craqué sur toi étant gamine. Sa réplique te fait sourire. D'un sourire sincère, parce que c'est pas quelque chose que lui disent vraiment les nanas composant l'espèce de harem stupide qui le suit à la trace. Non, là c'est sincère, c'est vrai, c'est Léo quoi. Tu réalises pas vraiment, ça te semble tellement fou... Tu peux pas t'empêcher de la dévisager, redécouvrant ses traits qui se sont affirmés, allongés, embellis encore. Ça m'fait drôle de te voir ici, mais... Pause théâtrale, il mord dans son sandwich à pleines dents. Ouais, c'est tout de suite moins symbolique comme pause. Mais bon, hein. Finalement, après avoir pris le temps d'avaler correctement, il relève les yeux, prêt à terminer sa phrase. ... mais ça me fait plaisir de te revoir, vraiment. achève-t-il alors, son regard ancré dans le sien.