DAMEN ⊱  ❝Damen s'approcha des rails sans la moindre crainte. Il ne regarda même pas autour de lui pour vérifier qu'il était seul et que ce lieu était sans danger. Non, il n'avait que neuf ans et se trouvait à à peine cinq cent mètres de chez lui, pourquoi aurait-il pris tant de précautions ? Il s'assit sur les rails, insouciant, ou inconscient, et fut enfin calme. Paisible, presque libéré. Pour une fois, Miles, son frère, ne l'écrasait pas. Pour une fois, il n'entendait pas son père s'affoler pour une fausse alerte de sa grossesse. Depuis sa fauche couche un an plus tôt, elle était le centre du monde. Avec Miles, bien sûr, le grand Miles... « Damen, qu'est-ce que tu fais ? Dégage de là ! » Le petit garçon sembla enfin reprendre conscience, il prit encore un instant pour se souvenir du lieu où il se trouvait et pour identifier la provenance de la voix. Celle-ci se fit plus pressante et il découvrit un garçon qu'il avait déjà croisé, mais sans plus. Son regard suivi le sien et il découvrit le train. Ses yeux s’écarquillèrent de peur, et de stupeur. Il se releva d'un bond, mais trébucha. Se retournant, il s'aperçu que son lacet était coincé entre les rails et le gravier en dessous. Ses yeux firent la navette entre le train et sa chaussure, son coeur battant la chamade. Il entendit le petit garçon crier quand le train passa et cela l'effraya, bien qu'il soit sain et sauf, de l'autre côté des rails. Il lui sembla que son coeur explosait dans sa poitrine. Vivant. Son esprit ne cessait de répéter ce mot qui lui semblait tellement merveilleux en cet instant. Il était vivant. Vivant. Pour de vrai.

« Tu te souviens de notre première rencontre, Jade ? » Damen s'assit sur le parapet du pont de Jersey et fixa la jeune femme en attente de sa réponse. Ils se connaissaient depuis un an et demi et était ensemble depuis un an. Elle lui avait dit qu'elle abandonnerait tout pour lui, que depuis leur rencontre ses études ne la passionnait plus tellement. Il aurait fait n'importe quoi pour elle, mais ses études de vétérinaire le passionnaient, lui. Cela n'était un secret pour personne, il aurait possédé un zoo si cela lui avait été possible. En vérité cela l'était, mais bon... « Tu chantais avec tes écouteurs dans les oreilles, et je t'ai dit Non merci » « je n'ai pas la moindre envie que vous m'embrassiez. » « Et tu as répondu que, au contraire, si je prenais la peine de t'écouter et de commenter, c'était parce que j'en avais très envie. » Damen sourit et descendit de son perchoir. Il s'agenouilla devant Jade et lui prit la main. De sa poche, il sortit un écrin doré qu'il ouvrit sous le regard presque défaillant de Jade. « Veux-tu m'épouser ? »

« J'en peux plus Damen, c'est aussi ta fille nom de Dieu ! Pourquoi tu ne fais rien ? Pourquoi tu passes ton temps à boire, à étudier et à sortir ? Ta fille ne te connaît même pas ! Et moi... Je ne sais plus. J'ai l'impression de ne plus avoir qui tu es Damen. Et puis je ne sais pas ce qu'elle veut, elle pleure puis elle rit, j'en peux plus... » Damen venait de rentrer des cours et avait trouvé Jade seule dans la cuisine, il avait immédiatement demandé où était Lily. Elle dormait. Il s'était approché pour embrasser son épouse lorsqu'il avait remarqué les larmes sur ses joues et le couteau qu'elle faisait tourner entre ses doigts. Connaissant ses tendances suicidaires, il le lui avait retiré. « Qu'est-ce que tu veux que je te dises ? Quand je t'ai demandé si cela te posait un problème que je continue mes études, tu as assuré que non, que tu saurais t'occuper de Lily ! Et si je bois, c'est ta faute Jade. C'est toi qui me répètes sans cesse que tu aurais dû avorter, mais que tout va bien. C'est toi qui me repousse. » Elle se remit à pleurer et il n'insista pas. S'il avait su...

Allo ? Dam... Damen ? Chérie ? Qu'est-ce qui se passe ? Où es-tu ? Je... Sur le pont. Notre pont ? Mais qu'est-ce que tu es allée faire là-bas ? Lily t'attend. On t'attend. Qu'est-ce que tu fabriques ? Rejoins moi. Elle avait raccroché... Damen détacha lentement son portable de son oreille, soupirant. Il attrapa sa veste et prit sa fille dans ses bras, la portant jusqu'à la voiture. Il l'attacha dans son siège et prit le volant jusqu'à chez ses parents, auxquels il confia Lily pour une heure, le temps de retrouver Jade et de s'expliquer avec elle, avait-il dit...
« Descends de là, je t'en supplie, descends. Qu'est-ce que tu vas faire ? Pense à Lily. Pense à... moi. P... Pourquoi tu me fais ça ? » Sa voix trahissait toute sa crainte, qu'il avait tout d'abord tenté de masquer par un sourire, qui s'était transformé en grimace. Il avait voulu cacher sa peur en plaisantant, lui  demandant de descende, que ce n'était pas drôle. Non, cela n'avait rien d’amusant. Sa femme était sur le point de sauter d'un pont, dans le vide qui s’étendait sur il ne savait combien de mètres. En dessous, de l'eau ,dans laquelle elle se noierait sûrement. Si elle sautait... Elle ne le ferrait pas. Elle n'avait pas le droit. Pour seule réponse, il obtint un léger sourire, un peu fou, et elle laissa tomber l'une de ses chaussures dans le vide. Le temps parut interminable entre le moment où elle la laissa tomber et celui où ils perçurent le plouf indiquant qu'elle était arrivée à bon port. Damen fit un pas en avant et elle secoua la tête, lâchant le pont, se préparant à sauter. « Non. Non, Jade, reviens. Tiens toi, je t'en prie, regarde, je recule, je recule... Je t'en supplie ne fais pas ça. Mon amour, regarde moi, je t'aime, je ne veux pas te perdre. » Elle sourit simplement. Ce n'était pas elle, elle n'était pas dans son état normal, elle n'était pas normale... Elle avait perdu la tête et, soudain, Damen comprit qu'il ne pourrait rien faire pour l'empêcher de sauter. Il se rua vers elle et, alors qu'il allait l'attraper, son rire retentit, comme un poignard qu'on lui aurait planté dans le coeur. Elle s'était laissée tomber dans le vide. « NON ! NON, JADE, NON ! Non, non, non, non... » Il lâcha le parapet et détacha son regard des cercles que l'impact avait formé dans l'eau. Les larmes ruisselaient sur ses joues,inondant son t-shirt, et il était assis par terre, seul. Abandonné. Les mains sur le visage à répéter sans cesse non.

« Lily, tu sais que papa t'aime, hein ? » La petite fille leva les yeux et observa Damen sans donner l'impression de comprendre ce qu'on lui demandait. Finalement, son regard s'éclaira et elle s'exclama « Papa ! » Le jeune homme éclata de rire et Lily fronça les sourcils, prête à pleurer. Finalement, elle croisa les bras et fit mine de bouder. « Lily... » Elle ne bougea pas. « Je ne rigole pas de toi, je rigole avec toi. » « Tu crois vraiment qu'elle comprend ? » Damen se retourna et croisa le regard de son frère. Il n'avait donc jamais le droit d'être tranquille avec sa fille ? Aux dernières nouvelles, sa maison n'était pas une auberge, et on frappait avant d'entrer... « Elle est moins demeurée que tu le penses, elle comprend parfaitement. » Il se leva et prit Lily dans ses bras, faisant comme si Miles n'était pas là. Ils avaient été en bond termes, à une époque qui semblait très lointaine, mais Miles n'avait cessé de répéter que Jade était folle et que l'épouser était la pire bêtise de sa vie... Par conséquent, que Lily n'avait pas à vivre. « J'avais tord... » Damen se figea et pivota lentement. « Content que tu en ai conscience, il était temps. Seulement, c'est un peu tard. Et je doute que tu viennes de ta propre initiative, alors tu pourras dire à papa que je survivrais, je n'ai pas besoin de toi. Ni de lui. » Miles fit quelques pas dans la pièce, l'air très peu découragé par la détermination qu'avait son frère à se débrouiller seul. Il était le plus âgé et avait toujours cru pourvoir tout diriger, tout contrôler et avoir tout ce qu'il voulait. Damen avait eu plus de mal à trouver sa place, entre son grand frère et Willow, sa petite soeur, il n'avait jamais vraiment été au centre de l'attention, parentale mais pas seulement. Du moins, jusqu'à aujourd'hui. Oui, il devenait intéressant maintenant qu'il était détruit !   « Je veux simplement t'aider Damen. Je veux que tu sois libre, je veux pouvoir m'occuper de ta fille pendant que tu fera ce que tu veux ! Tu pourrais reprendre tes études... » Un rire sans joie secoua Damen, qui déposa Lily au sol pour s'approcher de son frère. « Elle n'est pas un fardeau, c'est ma fille et j'ai plus que tout le bonheur du monde à m'occuper d'elle. Mes études ? Tu as toujours dit que c'était toi, le cerveau de la famille. Tout l'intelligence était tienne, si je me souviens bien. Je l'ai toujours pensé, parce que tu me l'a assuré ! Parce que tu t'es débrouillé pour que je me sente minuscule face au grand et merveilleux Miles. Dès que je réussissais quelque chose, super Miles faisait mieux ! Tu ne m'as jamais laissé l'occasion d'être 'libre', comme tu dis. Maintenant, sors de chez moi. Et ne t'approches plus ni d'elle, ni de moi. » ❞