Hayden C. Petrovna ⊱ Ma vie ? Elle n’a réellement commencé que le jour où j’ai quitté la maison de mes parents. Avant cela, ça n’était pas une vie. C’était un calvaire. Mon enfance ? Je n’en ai pas eu, tout simplement parce que pour ce qui est du loto de la vie, j’ai eu le malheur de tomber sur les mauvais parents. Mon père était un alcoolique qui passait ses journées à faire la tournée de tous les bars de la Nouvelle-Orléans et qui, une fois la nuit tombée, rentrait soit pour boire à nouveau, soit pour s’en prendre à moi. Au début, je n’aimais pas voir mon père comme ça. Au fil du temps, j’ai appris qu’il valait mieux qu’il se noie dans l’alcool plutôt qu’il ne se faufile dans ma chambre. Il ne m’a jamais violé. Pourtant je me souviendrai toute ma vie de ses mains courant sur mon corps, laissant une sensation dégoûtante derrière elles. Je me souviendrai toute ma vie de la façon dont il effleurait ma joue, posait ses lèvres sur les miennes tandis que moi, terrorisée, je n’osai faire un geste. En grandissant, j’ai compris qu’il était plus judicieux pour moi de m’enfermer dans ma chambre avant qu’il ne rentre. Ou alors je ne rentrais pas, préférant passer la nuit chez des amis, sans parfois même ne prévenir personne. De toute façon, qui aurait pu se soucier de ce que je faisais ? Mon père ne tenait même pas debout et ma mère… Parlons-en tiens, de ma mère. C’était une femme d’une très grande classe, mais aussi d’une très grande froideur. Elle n’a jamais été là pour moi et je n’ai jamais obtenu une seule marque de tendresse de sa part. Non, c’était tellement mieux pour elle de s’envoyer en l’air avec ses multiples amants plutôt que de s’occuper de la chair de sa chair. C’est probablement de là que je tiens mon côté infidèle… Toujours est-il que je n’ai jamais eu d’amour ni d’attention lorsque j’étais petite, je devais sans cesse me débrouiller seule. C’était dur, mais j’ai réussi à m’en sortir tant bien que mal. Autant vous dire que quitter la maison a été une délivrance.

La première chose que j’ai faite en quittant l’immense demeure dans laquelle je vivais, ça a été de m’envoler pour la France, ce pays dont ma mère était originaire et que je n’avais jamais connu. J’y ai passé environ un an à flâner, à ne rien faire, à juste profiter de la vie. Puis finalement je me suis dit qu’il était temps que je fasse quelque chose de mon existence, j’ai donc pris la direction de Jersey, cette petite île située entre la France et le Royaume-Uni dont j’avais beaucoup entendu parler, grâce à la réputation de son université. J’avais véritablement envie de voir ça de mes propres yeux et c’est donc tout naturellement que je m’y suis rendue. Je ne pensais pas avoir un tel coup de foudre pour cette île, mais c’est ce qui s’est passé et j’ai donc décidé d’y rester et d’y faire mes études. J’ai entamé une licence pro carrières de l’immobilier qui, au début, m’a paru bien ennuyeuse, il faut bien l’avouer. Jusqu’à ce qu’un jour, alors que je n’avais rien de mieux à faire que de gribouiller sur une feuille en cours de « moyens d’expression », je croise son regard. Lui, ce bel étudiant russe, prénommé Nicolaï Petrovna. A partir de cet instant, nos regards se sont croisés tous les jours, sans qu’aucun de nous n’aille vers l’autre. Finalement, c’est lui qui est venu m’aborder, après de nombreux jours passé à faire ce petit manège. Il m’a proposé un rencard et c’est tout naturellement que j’aurai pu répondre oui. Mais voilà, je ne l’ai pas fait ! Voyez-vous, c’était tellement plus amusant de voir sa tête déconfite face à mon non pour ensuite le laisser me courir après. Je l’ai laissé espérer durant plusieurs semaines, avant de finalement accepter de dîner avec lui. L’une des plus belles soirées de ma vie…

Un an après, je devenais Madame Petrovna. Ça pourrait peut-être paraître un peu rapide mais j’étais folle amoureuse de lui et il aurait pu me demander de l’épouser six mois après le début de notre histoire que j’aurai quand même dit oui. Pour moi, il était l’homme parfait. Tendre, gentil, amusant, magnifique… L’homme de  ma vie. Seul hic dans tout ça, après ses études il s’est engagé dans la Royail Air Force. Autant dire : exit les soirées en amoureux et les petites sorties romantiques. Sa carrière a contribué à affaiblir notre couple. Moi, j’ai contribué à l’achever. Au début ça ne me dérangeait pas qu’il soit sans cesse absent, j’avais mon boulot, je ne m’ennuyais pas tant que ça. Je ressentais juste un gros manque. Un manque de lui. Et puis au fil du temps, j’ai vraiment ressenti l’ennui. Il restait absent parfois plusieurs semaines et je ne savais pas quoi faire de mes journées qui me paraissaient être terriblement longues et interminables. C’est pour ça qu’un jour j’ai craqué. Je ne pensais pas avoir autant de similitudes avec ma mère, pourtant il faut croire que c’était le cas, puisque j’ai suivi ses traces… Je me suis trouvé un amant, un homme d’une trentaine d’années, tout juste divorcé et qui au début était simplement un de mes clients cherchant à acheter un loft. Je savais pertinemment que c’était mal, que si Nico venait à l’apprendre, notre histoire prendrait fin. Je n’avais pas envie que ça arrive, car malgré tout, j’étais toujours folle de lui. Mais l’ennui était plus fort que tout et pas une seule seconde je n’ai tenté d’arrêter ce qui se passait. Je me suis totalement laissé aller dans cette relation. Cet homme, prénommé Dyron, représentait tout ce que Nicolaï ne m’offrait plus. Ou plutôt tout ce qu’il ne m’offrait plus quotidiennement. De l’amour, de la tendresse, de la sécurité, de la joie… Je n’irai pas jusqu’à dire que j’étais amoureuse de lui. Disons plutôt que j’avais développé une certaine affection à son égard, affection qui a grandi de jour en jour. Il passait de plus en plus de temps chez moi, passant parfois la nuit à mes côtés, dormant dans cet immense lit qui représentait toutes nos nuits d’amour, à Nicolaï et moi. Il m’est souvent arrivé d’avoir honte de ce que je faisais, de me sentir coupable. Mais malgré ces remords, je n’ai toujours pas cherché à mettre fin à mon aventure. J’aurai peut-être dû…

Je pense que je me souviendrai toute ma vie de ce jour. Ce jour où je lui ai brisé le cœur. Il voulait juste me faire une surprise, rentrer quelques jours à la maison pour pouvoir profiter de moi et se reposer, après un moment d’absence, beaucoup trop long à mon goût. Il voulait juste que je sois heureuse de le revoir, que l’on puisse passer de bons moments ensemble durant ces quelques jours, des moments que nous ne pourrions oublier. Et bien le seul moment impossible à oublier sera probablement celui où il m’a découvert au lit avec Dyron. Ce dernier était venu passer l’après-midi à la maison et nous étions langoureusement entrelacés lorsque Nicolaï est entré dans la chambre. Je ne l’avais pas entendu monter et, en le voyant, j’ai été tout aussi surprise que lui. Il est resté sur le pas de la porte, tout d’abord sans rien, trop choqué par ce qu’il voyait. Il a lâché ses affaires, toujours sans rien dire… puis il a littéralement explosé. Il est devenu complètement fou. Complètement incontrôlable. Chaque objet sur son passage a été réduit en miettes et, un court instant, j’ai bien cru que Dyron allait subir le même sort. Heureusement pour lui, il s’en est tiré avec seulement le nez éclaté, un œil au beurre noir, une lèvre légèrement ouverte et pas mal d’hématomes. Bon en même temps, il faut dire qu’il ne faisait pas vraiment le poids contre un militaire surentraîné. Après ça il s’est taillé sans demander son reste et je suis restée seule avec Nicolaï et toute sa colère qu’il a continué à déchaîner sur moi verbalement. Il hurlait à la traîtrise tandis que j’hurlais pour tenter de me justifier. En vain… Finalement, il a rassemblé quelques affaires sans un mot de plus et s’est tiré. Quelques jours après il m’a annoncé qu’il souhaitait divorcer...

Penchée au-dessus des toilettes, je vomissais tripes et boyaux, tandis que des larmes roulaient silencieusement sur mes jours. Habituellement, j’aurai pu mettre ça sur le compte d’un petit verre de trop. Seulement là… un verre de trop à huit heures du matin ? Qui plus est trois jours d’affilé ? Impossible. Ajoutez à ça la poitrine gonflée et douloureuse, l’intolérance à certaines odeurs trop fortes et une légère prise de poids… Je n’avais nullement besoin d’un test pour décrypter les signaux que mon corps m’envoyait. Difficilement, je me relevais, me rinçais la bouche, puis me laissais de nouveau glisser sur le sol. Repliant mes jambes contre ma poitrine, j’enfouie ma tête dans mes bras, laissant les larmes couler librement sur mes joues. Je ne pouvais pas être enceinte. Pas alors que ma vie s’écroulait totalement. Bon, il faut dire que je l’avais bien cherché, mais quand même… Pourquoi maintenant ? Pourquoi pas quelques mois plus tôt ? Avant que Nicolaï découvre que j’avais un amant. Avant que je ne ruine notre mariage. Si j’étais tombée enceinte plus tôt, j’aurai mis un terme à tout ça, Nico n’en aurait jamais rien su et à l’heure actuelle nous serions toujours ensemble. Mais avec des « si » on referait le monde.  La vie peut parfois être bien ironique…

Au jour d’aujourd’hui, cela fait maintenant plusieurs semaines que Nicolaï a demandé le divorce. Il me manque… C’est horrible. C’est horrible car je suis toujours folle de lui mais je sais qu’entre nous c’est terminé. Et pour la première fois j’en viens à regretter ce que j’ai fait. J’ai été stupide. Je m’en mordrai les doigts toute ma vie. Je ne lui ai toujours pas dit pour le bébé et je ne suis même pas sûre de le faire un jour. Après tout, je suis incapable de savoir si il est de lui ou de Dyron. S’il est bien de lui, je lui dirais. Sinon… Advienne que pourra.